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sur le rempart et le défendent le sabre à la main jusqu’à la dernière extrémité. » A Belgrade, ils ne manquèrent pas à leurs traditions d’imprévoyance et de bravoure, mais ils avaient affaire à un adversaire qui ne leur cédait en rien en courage : ce fut aussi le sabre à la main que Max-Emmanuel attaqua les janissaires et qu’il emporta la place. « Vous ne serez pas fâché d’apprendre la prise de Belgrade, écrivait-il à Villars le 12 septembre, et de savoir que je l’ai emportée du premier assaut et que j’y suis entré par la brèche. »

Quand il rentra dans ses états, couvert de lauriers, enivré de succès, il y trouva les félicitations de toute l’Europe catholique que semblait animer comme un souvenir des croisades : de tous les points arrivaient à Munich des lettres d’évêques, d’archevêques, de cardinaux, célébrant le vainqueur des infidèles. Parmi tous ces témoignages d’admiration on remarquait une lettre du pape, dont les subsides avaient contribué à l’armement des troupes chrétiennes : mais l’esprit des croisades animait moins Innocent XI que la haine de gibelin qu’il portait à Louis XIV. En même temps qu’il écrivait à l’électeur pour le féliciter de sa victoire, il écrivait à l’empereur Léopold pour l’engager à faire la paix avec le Turc et à tourner ses armes contre l’ennemi commun de tous les trônes. Cette lettre était un long réquisitoire où étaient énumérés les griefs du saint-siège et de l’Europe contre le roi : les conquêtes, les «réunions» en Alsace et en Lorraine, l’ingérence en Italie, l’affaire des « franchises, » la menaçante ambassade de Lavardin, et jusqu’aux dragonnades, cause de tant de «sacrilèges » et de « profanations. » — « Loin de nous réjouir des conversions forcées, écrivait le pape, nous en avons gémi, nous en avons pleuré, » et rappelant qu’il avait porté l’épée avant de porter la tiare, il ajoutait : « S’il m’est permis de ressentir encore dans mon cœur quelque étincelle de ce premier feu, étant encore homme comme je suis, j’ose dire que la guerre contre la France est le seul moyen prompt et efficace pour la porter à faire raison à toute l’Europe d’une partie des torts et injustices qu’elle a faits. »

Cet appel aux armes, imprimé et répandu dans toute l’Europe, n’y avait eu que trop d’écho : partout la politique violente et agressive de Louvois avait soulevé des mécontentemens et fomenté des haines qui n’attendaient qu’une occasion pour éclater. A l’heure présente, pourtant, Louvois ne voulait pas la guerre ; son éminent historien l’a démontré : « On ne saurait trop le redire, écrit M. G. Rousset (IV, 118), la guerre n’était ni dans les projets de Louis XIV, ni dans ceux de Louvois ; » leurs efforts tendaient à transformer en paix perpétuelle la trêve de vingt ans signée à Ratisbonne ; ils attendaient de la paix le développement des conséquences du traité