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talent médiocre, qui, sans épargner ni leur temps ni leurs yeux, accumulent et soulignent les intentions, appuient sur le travail et tiennent à nous montrer la peine qu’ils ont prise, vous rencontrez de véritables artistes, épris de leur profession et prodiguant sans compter, — dans un cadre aussi restreint et pour des productions le plus souvent anonymes, — des trésors d’habileté, d’invention, et de poésie. C’est à la flore de la contrée où ils habitent qu’ils recourent le plus largement, et souvent même d’une manière exclusive, pour en tirer les motifs des décorations qu’ils peignent aux marges des missels et des bréviaires. Dans cette gracieuse parure, variée à chaque page, tantôt c’est une même fleur qu’ils nous présentent sous ses divers aspects, et tantôt c’est de la réunion de fleurs différentes, harmonieusement groupées, qu’ils composent des ensembles. Des oiseaux, des mouches, des insectes et des papillons, qui semblent tout vivans, sont délicatement posés sur ces plantes ou voltigent alentour. Jamais jusque-là on n’avait regardé la nature avec cet amour et jamais depuis on ne l’a rendue avec une perfection supérieure. On sent, à voir ces charmans ouvrages, les pures jouissances qu’une étude attentive procure aux yeux ravis de leur auteur, les beautés qu’il découvre dans cette active contemplation, son désir de les égaler, l’art enfin avec lequel il déguise ses efforts pour mettre dans sa copie quelque chose de la légèreté et de la grâce, et comme le parfum même de ses modèles.

Il semble que l’artiste ait voulu nous laisser un témoignage du contentement qu’il trouve à son travail quand, au coin de quelque page, quelquefois sous les traits de saint Luc, son patron, et à la date de sa fête, il se représente lui-même assis devant son pupitre, avec ses couleurs étalées à côté de lui, sa feuille de fin vélin et ses pinceaux bien effilés. Assuré du vivre, estimé par le seigneur qui l’emploie à ses gages, il est là, tranquille, dans ce réduit où on lui a permis d’établir son petit atelier de travail. Du haut de cette chambrette pratiquée au sommet d’une tourelle, on aperçoit, sous le ciel clair, un vaste horizon, la campagne avec des bois, des prés, des eaux courantes et, au loin, la silhouette de quelque ville flamande, facilement reconnaissable à son beffroi et ses clochers. Ces fleurs qui posent sous ses yeux, avec quel soin il les a cueillies et rapportées lui-même ! Il sait dans quel coin familier elles croissent, en quelle saison elle s’épanouissent. Le jardin du couvent ou du château en a fourni quelques-unes, produit d’une horticulture encore fort arriérée, simples comme les fleurs des champs qui forment le gros de son butin. Elles se succèdent aux pages du missel dans l’ordre même où elles fleurissent. Chacune est venue, à son tour, baigner dans l’eau limpide de ce vase, où le peintre les a disposées sous ses yeux, à bonne lumière, de manière à faire valoir, les unes