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parler de la beauté des personnages[1], jamais peintre d’architecture, — et certes la Hollande devait en produire de bien habiles, — a-t-il su, avec des nuances aussi claires et aussi rapprochées, trouver des intonations d’une pareille délicatesse pour modeler dans cette froide lumière les bas-reliefs de ces chapiteaux finement ouvragés, pour suivre avec une telle sûreté les dégradations transparentes de ces ombres qui se jouent sur les dallages, sur les colonnes de l’édifice et sur les statues des saints rangés symétriquement dans leurs niches ogivales ? Quant au paysage minuscule découpé par l’étroite ouverture de la fenêtre à laquelle sainte Catherine est, adossée, Van Eyck seul était capable, dans un espace aussi restreint, de nous montrer avec cette vérité et cette largeur d’aspect, un château-fort flanqué de tourelles, des campagnes riantes qui s’étendent au pied de collines boisées, et, à l’horizon, ainsi que dans le tableau du Louvre, ces montagnes étagées dont la neige couronne les sommets. Quels yeux ont pu avoir une acuité aussi pénétrante ? Quelles mains une semblable dextérité ? Avec quels pinceaux, avec quelles couleurs soutenir jusqu’au bout une telle gageure ? Par quels procédés enfin de telles œuvres ont-elles été exécutées ?

Sur ce dernier point, un petit panneau que possède le musée d’Anvers nous fournit fort à propos des renseignemens inattendus. Nous voulons parler de cette Sainte Barbe (no 410 du catalogue) que l’artiste a dessinée à la plume avec le soin le plus minutieux, et qu’il nous représente assise devant une tour dont la construction n’est pas encore terminée. Des personnages microscopiques, des hommes à cheval, des ouvriers, des promeneurs circulent affairés autour du monument. Au fond, des champs divisés en parcelles, des prés, des eaux, des plantations d’arbres et des maisons semées çà et là sont indiqués jusque dans le moindre détail avec une précision et une fermeté singulières. Le ciel déjà lavé de nuances pâles et le fond bleuâtre du lointain nous montrent que sur cette esquisse très arrêtée le maître, tout en la respectant, revenait au moyen de glacis successifs et avançait ainsi son ouvrage par un travail qui rappelle l’aquarelle et les procédés des miniaturistes. Renforçant à la fois, morceau par morceau, le ton et les valeurs, modelant au moyen de pâtes légères, usant tour à tour, pour

  1. Ceux de ce triptyque méritent, en effet, d’être comptés parmi les meilleures productions de l’artiste, l’Enfant Jésus surtout, dont le petit corps nu est peint avec une souplesse et un art accomplis. Van Eyck n’a pas toujours été aussi heureux, notamment dans le tableau du Louvre où le pauvre être chétif, gauche et raide, de mine vieillote et vulgaire, que la Vierge tient sur ses genoux, n’a aucune des grâces de l’enfance.