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On le voit, Memling n’est rien moins qu’un novateur, et sa poétique n’est pas bien compliquée. Il profite, il est vrai, des ressources nouvelles que les Van Eyck avaient assurées à leur art ; mais, au lieu d’étendre le domaine conquis par eux, il s’y cantonne dans un espace plus restreint. Il revient même sur leurs pas et recommence à parler le langage un peu suranné des miniaturistes ; mais, en disant les mêmes choses, sa voix est bien autrement expressive, et personne, après lui, ne retrouvera des accens pareils. Longtemps méconnu dans ses œuvres et calomnié dans sa vie, il est aujourd’hui dans toute sa gloire. Pour que rien ne manquât à sa fortune, il a désormais, comme fra Angelico dans le cloître de Saint-Marc, un sanctuaire où viennent le chercher ses dévots. Peut-être même est-il encore plus favorisé que le bienheureux, car c’est une ville tout entière, c’est Bruges, qui ajoute la poésie de sa solitude et de ses souvenirs à la poésie de ses œuvres. Dans ce cadre, qui semble fait exprès pour elles, elles prennent tout leur éclat. Au milieu de ce silence, parmi ces vieilles églises et ces rues abandonnées, le charme de leur exquise simplicité vous gagne peu à peu. Heureux d’échapper pour quelques instans à l’agitation de nos existences enfiévrées, vous ne songez pas à vous défendre contre des séductions aussi persuasives, et, malgré les démentis que le train du monde a toujours infligés à la parole de l’évangile, vous comprenez, en admirant Memling, cette force suprême de la douceur à laquelle l’empire de l’univers a été promis.


V.

Avec Memling se termine cette période initiale d’éclosion et de jeunesse dans laquelle l’art flamand possède encore toute sa fraîcheur et nous montre des impressions directement ressenties et rendues sans qu’aucun mélange de convention en altère jamais la franchise. Plus tard, le génie même de ces maîtres primitifs va peser sur leurs successeurs et paralyser l’originalité de leur talent. Soit qu’ils cèdent à des réminiscences involontaires, soit qu’au contraire ils s’efforcent de répudier les exemples de leurs devanciers, ceux-ci perdent quelque chose de leur spontanéité. Un maniérisme inconscient se glisse dans leurs œuvres et leur communique je ne sais quoi de guindé et d’artificiel qui les dépare.

Gérard David n’a pas évité ce défaut[1]. C’était cependant un

  1. Né, vers 1450, dans la Hollande méridionale, Gérard David s’était de bonne heure fixé à Bruges, où il se mariait. Il y avait subi l’ascendant de Memling, alors dans toute sa gloire. Admis dès 1483 dans la Gilde de cette ville, David en devenait le doyen en 1501 et 1502 ; il mourait à Bruges le 13 août 1523.