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diable de toutes les difformités devait inévitablement fournir à l’humeur railleuse de certains artistes l’occasion de s’exercer sur un personnage qu’il s’agissait avant tout de rendre hideux et repoussant. Ne pouvant le faire terrible, ils cherchaient à s’égayer sur son compte et le tournaient en dérision. En traitant des sujets où la verve moqueuse des Breughel, des Teniers et de Callot allait bientôt se donner librement carrière, un peintre de ce temps, Jérôme van Aken, plus connu sous le nom de Bosch[1], mêle déjà parfois quelques traits malicieux à l’horreur de ses sombres inventions. Bien qu’il soit surtout célèbre par les Tentations, les Enfers et toutes les visions diaboliques dont il s’était fait une spécialité, Bosch, lorsqu’il se borne à la simple représentation de la nature, manifeste une originalité à laquelle il nous semble qu’on n’a pas assez rendu justice. Dans une de ses œuvres les plus remarquables, le triptyque de l’Adoration des mages du musée de Madrid (n" 1175 du catalogue), les animaux groupés autour de la scène principale, — l’âne, placé près de la crèche, le mouton, qui repose non loin de là, et les chevaux galopant à travers la campagne, — sont rendus avec une grande justesse d’observation ; et quant au paysage qui s’étend au-dessus de la crèche, dans la partie moyenne de la composition, — un cours d’eau avec de beaux arbres qui l’ombragent et plus loin des terrains incultes couverts çà et là d’un maigre gazon, — l’artiste a su, par la fermeté précise du dessin et la puissance des intonations, exprimer très fortement le caractère d’une de ces contrées sauvages dont la poésie n’avait guère jusque-là, Van Eyck excepté, tenté le pinceau de ses devanciers.

Avec le temps, le goût de la peinture s’était peu à peu répandu dans toute la Flandre, mais dès les premières années du XVIe siècle la prospérité de Bruges commençait à être éclipsée par celle d’Anvers, qui allait recueillir son double héritage de suprématie commerciale et d’activité artistique. La fondation de la Gilde de Saint-Luc, que la corporation des peintres avait établie dans cette dernière ville, remontait à la fin du XIVe siècle, et le nom de Quentin Messys, qui, en 1491, était inscrit sur ses listes, inaugure la brillante succession de maîtres qui devaient l’illustrer[2]. Dans l’ouvrage capital de Messys, que possède le musée d’Anvers, la Déposition de la croix, qu’il terminait en 1511, le paysage, bien qu’il n’y tienne qu’une place secondaire, ajoute à l’émotion poignante de la scène

  1. Van Aken passa la plus grande partie de sa vie dans sa ville natale, Bois-le-Duc (Hertogen-Bosch), d’où lui était venu son surnom de Bosch. Il y mourut en 1516.
  2. Messys était-il originaire d’Anvers ou de Louvain ? C’est là une question encore indécise et que les catalogues d’Anvers et de Bruxelles tranchent chacun dans un sens différent.