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et les silhouettes sinistres des croix plantées au sommet du calvaire dominent éloquemment cette composition si pathétique. Le rôle du paysage a plus d’importance dans le triptyque de la Légende de sainte Anne, qui, de l’église Saint-Pierre de Louvain, pour laquelle il avait été fait en 1509, est entré depuis quelques années au musée de Bruxelles. Nous y retrouvons ces rochers aux formes étranges qui bornent également l’horizon de la Déposition de la croix. Avec la même fantaisie que la plupart de ses contemporains, aussi bien les italiens que les flamands, Messys ne se faisait pas faute d’amonceler ces rochers les uns sur les autres et, sans se soucier d’aucune vraisemblance, de les découper de mille manières pour y pratiquer des grottes ou des arceaux entre lesquels on aperçoit des échappées sur la campagne. Mais, sauf ce détail, l’artiste apporte autant de largeur que de sincérité dans son interprétation de la nature, et le beau portrait de l’Homme à barrette noire, du musée de Francfort, nous montre le parti harmonieux qu’il a su tirer du ciel bleu et des verdures vigoureuses sur lesquelles cette honnête et vivante figure se détache avec tant d’éclat.

À voir ces admirables ouvrages, il semble que les traditions de Van Eyck et de Van der Weyden allaient être renouées, car c’est bien elles que nous reconnaissons ici, mais reprises et développées avec plus d’ampleur. Cependant l’effort de Messys devait rester isolé et avec lui l’art gothique avait, dans cette dernière floraison, jeté son dernier éclat. Attirés par le prestige toujours croissant de la renaissance italienne, les artistes flamands iront désormais au-delà des monts chercher leur idéal et trouver des enseignemens. Avec ce mouvement de migration vers le midi dont Mabuse donne le signal et qui se poursuit avec les Van Orley, les Coxie, les Floris et bien d’autres encore, nous voyons disparaître peu à peu l’originalité du vieil art national. Au contact d’un art étranger, il perd cette absolue sincérité dans laquelle jusque-là il avait puisé sa force. Aussi, malgré le talent de ceux qui s’y emploient, les essais de conciliation tentés entre des aspirations si opposées n’aboutissent qu’à des productions bâtardes, également dépourvues de style et de naturel, et qui laissent le spectateur troublé ou indifférent. Au lieu de ces aspects variés de la campagne sur lesquels le regard aimait à se reposer dans les œuvres des primitifs, des monumens d’une architecture bizarre étalent derrière les pompeuses compositions des italianisans, leurs lignes tourmentées et le bariolage de leurs couleurs. Comme si elle avait honte de se montrer ainsi encadrée, la nature se laisse à peine entrevoir à travers le dédale incohérent de leurs portiques inutiles et les longues files de leurs colonnades.

Un nom cependant mérite d’être retenu parmi ceux des peintres que nous avons cités, celui de Bernard Van Orley. Mais bien qu’à