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et enfin les femmes. C’est bien la comédie humaine[1] que nous avons sous les yeux. Donnons-nous-en le spectacle.


I.

A tout seigneur tout honneur. Commençons par le grand roi. Il n’est pas besoin de clef pour savoir que le portrait du souverain tel qu’il est développé dans le dixième chapitre des Caractères n’est autre que le portrait de Louis XIV : « Que de dons du ciel ne faut-il pas pour bien régner! Une naissance auguste, un air d’empire et d’autorité, un visage qui remplisse la curiosité des peuples empressés de voir le prince et qui conserve le respect dans le courtisan ; une parfaite égalité d’humeur ; un grand éloignement pour la raillerie piquante, ou assez de raison pour ne se la permettre point ; ne faire jamais ni menaces ni reproches ; ne point céder à la colère et être toujours obéi ; l’esprit facile, insinuant, le cœur ouvert, sincère, etc., dont on croit voir le fond;.. du sérieux et de la gravité;.. le choix des personnes et le discernement des esprits;.. ces admirables vertus me semblent renfermées dans l’idée du souverain... et il me paraît qu’un monarque qui les rassemble est bien digne du nom de Grand ! » Personne ne peut douter que ce ne soit très sincèrement que La Bruyère se livrait à cette apothéose. Il avait, comme tous les hommes de son temps, la foi dans la royauté et une admiration extrême pour le souverain; et, d’ailleurs, à cette période du règne, tout le monde en pensait autant. Cependant il est permis de croire que s’il écrivait ce magnifique éloge en toute conscience, ce n’était pas sans faire in petto quelques réserves; et ce satiriste, si cruel pour tous, ne pouvait pas avoir émoussé complètement tous ses traits à l’égard d’un seul. En tout cas, tout en se laissant aller avec candeur à l’enthousiasme de La Bruyère, il me semble qu’on est un peu plus tenté de pardonner aux acrimonieuses censures de Saint-Simon.

Après Louis XIV, Mme de Maintenon. C’est elle que l’auteur désigne dans cette maxime délicate : « Il ne manque rien à un roi que les douceurs d’une vie privée; il ne peut être consolé d’une si grande perte que par le charme de l’amitié et par la fidélité de ses amis. » C’était encore toucher plus près du but que de dire : « L’un des malheurs d’un prince est d’être souvent trop plein de son secret : son bonheur est de rencontrer une personne sûre qui

  1. C’est le titre même qu’un ingénieux écrivain, M. Edouard Fournier, avait donné à un livre qui a le même objet que ce travail. Il est intitulé la Comédie de La Bruyère. Il va sans dire que nous avons utilisé cet ouvrage, qui, d’ailleurs, avait déjà passé tout entier dans le commentaire de M. Servois.