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le fils. Le père avait été gouverneur de Louis XIV, et c’était un courtisan accompli, aussi bien pour la bassesse que pour la science du monde. Nous lui avons déjà vu appliquer ce mot à propos d’un nouveau ministre : C’est mon ami. Il disait cyniquement « qu’il faut donner le pot de chambre aux ministres quand ils sont en place, et le leur verser sur la tête quand ils n’y sont plus. » En même temps, sa vieille expérience du monde lui donnait une grande autorité, et on lui appliquait la maxime suivante : « Un vieillard qui a vécu à la cour, qui a un grand sens et une mémoire fidèle est un trésor inestimable ; il est plein de faits et de maximes… L’on y apprend des règles pour la conduite et pour les mœurs. » Le second Villeroy, également maréchal, le célèbre général connu par son incapacité et ses défaites, le courtisan frivole et superficiel, inepte dans les affaires, où il ne comprenait rien, au point d’embarrasser Louis XIV, qui avait de l’affection pour lui parce qu’ils avaient été élevés ensemble, serait, suivant les clefs, l’original de Ménippe : « Ménippe, dit La Bruyère, est l’oiseau paré de divers plumages qui ne sont pas à lui. Il ne parle pas, il ne sent pas ; il répète des sentimens et des discours, et il se sert si naturellement de l’esprit des autres qu’il y est le premier trompé… C’est un homme qui est de mise un quart d’heure de suite, qui le moment d’après, bâille, dégénère, perd le peu de lustre qu’un peu de mémoire lui donnait, et montre la corde. Lui seul ignore combien il est au-dessous du sublime et de l’héroïque. » Le portrait que Saint-Simon fait de Villeroy a de grandes analogies avec celui-Là, même pour l’expression : « Il se piquait d’être honnête homme ; mais comme il n’avait pas de sens, il montrait la corde fort aisément… C’était toujours, hors des choses communes, un embarras et une confiance dont le mélange devenait ridicule… D’ailleurs, nulle chose que des contes de cour, d’aventures, de galanteries, nulle lecture, nulle instruction, ignorance crasse sur tout, plates plaisanteries, force vent et parfait vide. » Saint-Simon dit encore « qu’il se croyait affranchi de la politesse par le caractère des gens, » ce qui se rapporte très bien à ce trait de Ménippe : « Si vous le saluez quelquefois, c’est le jeter dans l’embarras s’il doit rendre le salut. » Le trait final du portrait de La Bruyère est admirable : « Il croit que tous les yeux sont ouverts sur lui, et que les hommes se relaient pour le contempler. » Ici encore, c’est bien l’homme que nous montre Saint-Simon en l’appelant « un tissu de fatuité, de recherche et d’applaudissement de soi, de montre de faveur et de grandeur de fortune. »

Nous rencontrons enfin dans La Bruyère d’autres types de courtisans, aussi savamment démêlés que finement décrits : le courtisan insinuant, le courtisan orgueilleux, le courtisan enrichi. Voici le portrait du premier, qui serait celui de Lenglée : « Les cours ne