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l’abbé Blache dans un passage de ses Mémoires[1]. On parle également de Mme de Bretonvilliers et de Mme de Lesdiguières. Saint-Simon, à propos de son oraison funèbre par le père Gaillard, s’exprime ainsi : « La matière était plus que délicate. Le célèbre jésuite prit son parti ; il loua tout ce qui méritait de l’être, puis tourna court sur la morale. Il fit un chef-d’œuvre d’éloquence et de piété. » Le clergé nous offre encore à cette époque le type intéressant et romanesque du libertin converti. « L’on en voit d’autres, dit La Bruyère, qui ont commencé leur vie par les plaisirs,.. que les disgrâces ont rendus religieux, sages, tempérans : ces derniers sont pour la plupart de grands sujets sur lesquels on peut faire beaucoup de fond. » On cite ici, dans les clefs, l’abbé de Rancé ; et, malgré l’opinion de M. Servois, il nous semble que ce nom n’est pas mal trouvé. Il est d’ailleurs probable qu’il y avait alors beaucoup d’exemples de ce genre. Les conversions étaient fréquentes ; et si un Pascal, un Racine ont passé par cette crise, beaucoup d’autres en ont pu faire autant. Mais l’abbé de-Rancé est le type le plus tranché d’une conversion radicale, semblable à celle de saint Augustin, et passant d’une vie de plaisir à une vie d’abnégation absolue. Tout ce que l’on peut dire, c’est que précisément les expressions de La Bruyère ne sont pas tout à fait assez fortes pour convenir à une révolution si remarquable. Dans un ordre d’allusions plus triviales et plus légères, nous trouvons le prêtre égoïste et glouton, que La Bruyère nous dépeint en ces termes : « Gnathon ne vit que pour soi... non content de remplir à table la première place, il occupe à lui seul colle des autres. » Gnathon serait, dit-on, l’abbé Dance, le même que Boileau aurait peint dans le Lutrin sous le nom du chanoine Evrard : » Il eut mangé, disait Despréaux, des cerneaux à la fourchette. Il avait un surtout qu’il passait par-dessus ses habits, quand il se mettait à table, pour les préserver de la graisse et des sauces et manger plus vite. Allait-il manger en ville, il faisait porter cet habit de table. » Le portrait du bavard aurait pu être pris sans doute dans quelque classe que ce soit de la société; le modèle choisi par La Bruyère serait, dit-on, un ecclésiastique; mais, comme ce portrait est imité de Théophraste, il n’est pas probable que celui-ci ait pensé à l’abbé de Vassé, que l’on cite comme le portrait du bavard. C’est cependant ce que nous dit Mme de Prat. Elle reconnaît dans ce portrait, avec les clefs, son vieil ami et défunt cousin, « l’abbé de Vassé, qui a laissé dans la famille la ridicule réputation d’un bavard à outrance et d’un vaniteux excessif. » Plus intéressant et plus probable est le portrait du prêtre intrigant, dans lequel toutes les clefs reconnaissent Théophile

  1. Voyez Revue rétrospective, t. I. p. 165).