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lui dit de boire de l’eau... Ma vue s’affaiblit, dit Irène. — Prenez des lunettes. — Je m’affaiblis moi-même. — C’est que vous vieillissez. — Quel moyen de guérir de cette langueur ? — Le plus court, Irène ; c’est de mourir. » Saint-Simon et Dangeau, de leur côté, nous représentent Mme de Montespan « aimant à voyager par inquiétude » et « allant à Bourbon sans besoin des eaux. » Ce fut là même qu’elle mourut, en 1707, à soixante-six ans. Elle y était, dit encore Saint-Simon, « sans besoin, comme elle faisait souvent. » Elle pensait souvent à la mort et en avait une grande frayeur. Nous avons plus haut, à propos de Louis XIV, rappelé quelque allusion directe à Mme de Maintenon ; il est inutile d’y revenir ici. Quant à la peinture que fait La Bruyère des vieilles coquettes et des mauvais ménages, elle peut s’appliquer à tant de personnes qu’il est oiseux de rechercher qui La Bruyère a pu avoir plus particulièrement en vue.

Il semble donc que, dans cette question des clefs de La Bruyère, les portraits de femmes mériteraient à peine d’être mentionnés, si le problème le plus curieux et le plus piquant que l’on puisse avoir à résoudre en ce genre, ne portait précisément sur un nom de femme. Comme il s’agit ici d’un point délicat et mystérieux, touchant à l’âme même de La Bruyère, à cette âme qui nous est si peu connue, quoique son esprit soit pour nous tout à nu, on ne s’étonnera pas que nous ayons réservé cette énigme pour la fin.

Parmi les portraits de La Bruyère, il en est un des plus agréables, et même tout à fait délicieux ; c’est le morceau intitulé : Fragment, qui commence de cette manière étrange et un peu recherchée «...[1] Il disait que l’esprit chez cette belle personne était un diamant bien mis en œuvre. » On peut dire que c’est le portrait de La Bruyère qui est un diamant. Nulle part, il n’a eu une touche aussi délicate et aussi aimable. Toute son âpreté s’adoucit pour cette belle personne ; il ne connaît plus les traits de la satire ; il parle comme quelqu’un qui est sous le charme ; il admire, il loue ; il aime peut-être, ou du moins il le laisse entrevoir : « C’est, dit-il, une nuance de raison et d’agrément qui occupe l’esprit et le cœur. On ne sait si on l’aime ou si on l’admire, il y a en elle de quoi faire une parfaite amie ; il y a aussi de quoi vous mener plus loin que l’amitié... Trop jeune et trop fleurie pour ne pas plaire, mais trop modeste pour songer à plaire, elle ne tient compte aux hommes que de leur mérite et ne croit avoir que des amis... S’il s’agit de servir quelqu’un, Arténice n’emploie auprès de vous que la sincérité,

  1. Ces points sont de La Bruyère.