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UN DÉPARTEMENT FRANÇAIS.

Trop heureux si la vieille souche n’est pas morte, si la sève de l’association y sommeille seulement, et si les syndicats restaurés peuvent donner la main aux métiers du temps jadis !

Au xviie siècle, la vie municipale se ralentit dans la cité. Les constructions nouvelles deviennent rares. La grande noblesse bâtit à Paris ou embellit ses châteaux. Elle déserte la ville de province. Les hôtels ont une mine renfrognée. Le quartier silencieux qui entoure la cathédrale date de cette époque. Ce ne sont que portails sévères, grandes fenêtres majestueuses où s’ébattent correctement quelques Amours joufflus contemporains d’Anne d’Autriche, longs murs moroses qui tiennent la rue à distance au lieu de badiner avec le passant. Les marteaux des portes, avec leurs lions classiques, repoussent la main du visiteur, et les hautes bornes cerclées de fer ont une raideur de douairière. Il semble que, de toute éternité, l’herbe a dû pousser entre les pavés et que les ferrures des balcons ont été rouillées dès le premier jour. L’imagination ne peut évoquer, le long des perrons déserts, que de lourds carrosses, de lourdes perruques et de lourdes gens. Aujourd’hui, une sorte de moisissure semble envahir ces hautes maisons. C’est le séjour préféré de la petite noblesse et de la dévotion. Le soir, une course à travers ces rues désertes est une promenade dans un cimetière.

La place sur laquelle on débouche en sortant de cette nécropole ne manque pas d’une certaine grandeur. Elle a été construite au siècle dernier avec la préoccupation évidente d’imiter la place Vendôme. Ce sont les mêmes colonnes en relief cannelé, formant une sorte de palais continu. Une fontaine de style rococo se contourne au centre et nous reporte à cent cinquante ans de date, sous le ministère du cardinal de Fleury. Ce fut, pour notre ville, une ère de prospérité. L’industrie y naissait. Les relations avec les ports et les colonies devenaient fréquentes. C’est alors que le style de Versailles et de Trianon, réservé jusque-là aux habitations des nobles, fit invasion dans le haut négoce et que les riches marchands de la ville bâtirent cette place pour y vivre côte à côte dans une majestueuse opulence. Pleins de dédain pour les antiquailles et pour le style gothique, ils auraient transformé toute la ville si la mort, la banqueroute ou les révolutions n’y avaient mis bon ordre. Aujourd’hui, ces vieux hôtels sont envahis par les cabarets du bel air, les affiches en lettres d’or et les enseignes de dentistes. Une vie mercantile et grossière dérange la sereine immobilité des colonnes, se rit de la perfection de l’appareil et détruit la pondération des masses. Ainsi chaque génération croit fixer le temps. Mais il ne reste de son passage que le témoignage fugitif de ses aspirations ; les monumens qu’elle menaçait sont encore debout ; ceux qu’elle n’avait pas