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un peu honteux de leur culte. Aujourd’hui la haute société a fait son choix. Elle est royaliste et cléricale. On l’étonnerait beaucoup si on lui rappelait qu’elle n’a pas toujours eu des principes aussi arrêtés. Les femmes ont joué un grand rôle dans cette émigration à l’intérieur. Gambetta eût-il été le plus modéré des hommes, elles ne lui auraient pas pardonné ses allures de tribun. Le reproche le plus sanglant qu’elles adressent aux républicains, c’est de manquer d’éducation. Leur verve moqueuse s’exerce de préférence contre les femmes des hauts fonctionnaires, lorsque celles-ci portent un peu gauchement la toilette. Comme pour mieux marquer le caractère de cette singulière opposition, si impuissante et si hautaine, les reines de la mode sont aussi celles de l’opinion.

Nous connaissons cependant quelques intérieurs dont les principes invariables commandent le respect. Il est bon d’y pénétrer : on apprend ainsi à connaître la vieille France. Une demoiselle fort mûre et de haute naissance habite une grande maison solitaire, dont les fenêtres dominent les anciens remparts et la campagne. De sa chambre, paisible comme une chapelle, et protégée par un double châssis, on embrasse un immense horizon. L’aspect d’un ciel souvent agité et traversé par des rafales fait contraste avec le silence et la paix de cette demeure, tout imprégnée d’un parfum de cierges et d’eau bénite. L’âme de la maîtresse du logis n’est pas moins close aux influences du dehors, et cependant elle regarde avec curiosité le spectacle du siècle, de même qu’à travers la vitre elle aime à contempler un orage sans l’entendre. Elle a été très belle en son temps ; de son ancienne beauté il est resté l’aisance et la grâce. L’âge a plutôt terni que creusé son visage. Ses yeux encore très vifs, ses cheveux partagés en bandeaux plats, à peine semés de quelques fils d’argent, sa bouche fine et un peu pincée composeraient un ensemble agréable s’il ne s’y joignait une expression dédaigneuse. Quand elle cause, les bras serrés sous un châle de dentelles qui dessine sa taille, elle ramène une de ses mains sous son menton, et penche sa tête avec un air de méditation mélancolique, dans la pose de la Polymnie du Louvre. Cette attitude était fort à la mode vers 1845. Sa conversation est scandée de soupirs et de sous-entendus. Elle accentue chaque mot, comme si le sens naturel des phrases ne pouvait contenir une infinité de choses qu’elle veut y meure. Elle a coutume de dire, en parlant de son entourage : « Nous autres, carlistes !… » expression mystérieuse, si l’on ne savait que, sous Louis-Philippe, les légitimistes français se désignaient eux-mêmes par le nom de la faction que la politique du roi-citoyen combattait en Espagne.

Une douzaine de ces carlistes en cheveux gris se réunissent ici