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UN DÉPARTEMENT FRANÇAIS.

commune, et on peut croire que ce n’est pas la fleur des pois. Parmi eux se fourvoient d’honnêtes pères de famille qui colportent le vitriol politique pour gagner de quoi mettre le pot-au-feu. À la ville, la clientèle radicale se recrutait naguère parmi les ouvriers. Mais ils ont découvert que l’homme bilieux n’était, après tout, qu’un bourgeois et ils se sont déclarés anarchistes. Dieu sait ce qu’ils entendent par là et les cris qu’ils pousseraient si quelques praticiens de grande route venaient prélever leur part sur le salaire de la semaine ! Fort heureusement, ils peuveut déclamer tout à leur aise sous la protection de cette société qu’ils traitent de marâtre. Le radicalisme pur, c’est-à-dire l’envie enveloppée de phrases, l’esprit réformateur que rien n’arrête, recrute des auxiliaires actifs parmi les garçons coiffeurs, les commis de nouveautés, les voyageurs de commerce, les scribes de la basoche, les élèves en pharmacie, etc., tous bons travailleurs, mais grisés de leur demi-savoir.

Le drapeau blanc, teinté d’une forte nuance cléricale, a pour lui les châteaux. Mais le difficile est de donner le branle aux châteaux. Tant qu’il suffit de faire de grands bras et de s’indigner, tout marche à souhait. L’éloquence de cheminée va son train. Mais pour agir, c’est une autre affaire. Le légitimiste militant sait ce qu’il en coûte. En sa qualité d’homme politique, il est beaucoup moins absolu que ses coreligionnaires. En face de leur ineptie ou de leur mauvais vouloir, sa lèvre fine se contracte, et son visage, un peu fatigué, exprime un dégoût profond. Il se rejette alors sur les petits propriétaires crottés qu’en temps ordinaire i ! tiendrait à distance, mais qui, au moins, sont dévoués. Il descend plus bas encore ; il fait appel aux brasseurs d’affaires, aux régisseurs, aux va-nus-pieds. Il retrousse ses manches et met la main à la pâle, quitte à faire ensuite une sérieuse lessive. Au fond, il choisit ses inlrumens pêle-mêle, avec un sans-façon de démocrate. Sa grande ressource est le patronage que de hautes relations parisiennes lui permettent d’exercer à distance sur ses compatriotes émerveillés. On ne sait pas le parti qu’un conservateur peut tirer, en temps d’élection, d’un simple accusé de réception qu’un ministre a signé dans son innocence. Le seul aspect du cachet ministériel fait des miracles. Le grand art, c’est de faire croire, dans les cantons un peu arriérés, qu’on est toujours dans les meilleurs termes avec l’administration. Aussi le préfet, contre lequel on fulmine au conseil général, est accablé de prévenances quand il fait sa tournée. On l’enguirlande, on l’invite à dîner : est-ce que des hommes du monde ne s’entendent pas toujours sur le terrain des convenances ? Le tout à seule fin de lui frapper négligemment sur l’épaule devant les maires assemblés, en faisant entendre que c’est un bon préfet, qu’on en répond et, au besoin, qu’on en dispose.