Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/953

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
945
REVUE. — CHRONIQUE.

encore et conduisait cette campagne en homme à qui tout avait réussi jusque-là, qui se promettait plus que jamais l’influence et le pouvoir. On ne doutait de rien. On assurait que l’ère des périls était passée, que la république était désormais fondée, qu’il n’y avait plus qu’à s’occuper de l’affermir en lui donnant pour base la démocratie la plus large, la plus libre, la plus éclairée. On traçait de vastes programmes ; on demandait au pays une majorité puissante, décidée à tout « pour établir et soutenir le gouvernement des réformes républicaines, » et le pays, docile comme il l’est assez souvent au régime qui existe, donnait ce qu’on lui demandait ; il envoyait à la chambre nouvelle une majorité républicaine, sans trop regarder aux programmes, à ces fameux programmes qui sont devenus les immortels « cahiers » des élections de 1881. Eh bien ! c’est fini, la comédie est jouée. Les quatre années de cette législature sont passées comme étaient déjà passées les quatre années des législatures précédentes. M. Gambetta, le grand électeur de 1881, n’est plus de ce monde, et avant de disparaître, il a eu le temps de porter aux affaires le faste décevant de son impuissance. La chambre, dont il semblait devoir être le victorieux leader, va mourir, elle est même déjà morte. Que reste-t-il de l’affermissement de la république qu’on se promettait, du gouvernement des réformes, des vastes programmes de la majorité républicaine ? C’est encore et plus que jamais la question. La vérité est que cette chambre de 1881, élue il y a quatre ans pour tout réformer, pour assurer un avenir indéfini à la république, s’est éteinte ces jours passés sans éclat et sans bruit, après avoir vécu assez médiocrement, après avoir usé six ministères morts successivement d’impuissance ou d’un coup violent de scrutin. On pourra, si l’on veut, lui dédier une épitaphe où l’on inscrira ce qu’elle a fait. Elle a certes accompli, dans son existence de quatre années, plus d’œuvres dangereuses ou vaines que d’œuvres sérieusement utiles. Elle s’est crue obligée à réformer la constitution sans s’apercevoir que, par une révision incohérente et puérile, elle ravivait sans profit le sentiment de l’instabilité, elle ébranlait les institutions bien plus qu’elle ne les affermissait. Elle a tenu aussi à mettre la main à une réforme judiciaire dont le seul résultat sensible a été d’assouvir des ambitions et des ressentimens en laissant la magistrature nouvelle déprimée et affaiblie. Elle a encouragé, sanctionné sans réflexion, sans examen et sans contrôle des entreprises qui, mieux conçues, mieux dirigées, n’auraient eu sans doute rien d’inavouable, qui, telles qu’elles ont été conduites, n’ont été que périlleuses et onéreuses. Elle a voté tout ce qui lui a été proposé de crédits, d’emprunts, d’expédiens financiers, au risque d’accumuler les déficits, de mettre la confusion dans le budget et de préparer une situation dont le fardeau pèse aujourd’hui sur le pays. Elle a tenu enfin à ne pas mourir