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REVUE. — CHRONIQUE.

essayer de rétablir les affaires de l’opportunisme. M. Jules Ferry a du moins le mérite de ne pas se tenir aisément pour battu, de payer d’assurance. Il est allé à Lyon, il a parlé, il a fait l’apologie de son ministère, il a défendu ses actes, il s’est raillé de M. Clemenceau, et la question est de savoir si on est beaucoup plus avancé, si le discours qu’il a prononcé dans un banquet lyonnais n’est pas tout simplement une manière de prolonger l’équivoque qui est depuis longtemps l’essence de cette politique opportuniste.

La difficulté, en effet, est de saisir, à travers les apologies orgueilleuses et les vaines amplifications, ce que l’ancien président du conseil a voulu dire, ce qu’il promet au pays, à une heure où il s’agit pourtant de s’exprimer clairement. M. Jules Ferry parle sans cesse de gouvernement, de politique gouvernementale, de la nécessité des pouvoirs stables non-seulement pour la paix intérieure, pour le progrès régulier du pays, mais dans l’intérêt du rôle extérieur de la France. Il recommande aux électeurs de ne nommer que des hommes pénétrés d’idées de gouvernement, d’envoyer à la prochaine chambre une majorité homogène, résolue, « capable de donner à la France ce grand bien de la stabilité gouvernementale. » Voilà qui est au mieux ! Il s’agit seulement de s’entendre. Si M. Jules Ferry veut prouver qu’il ne parle pas à la légère et pour se donner un air d’homme d’état, qu’il sent lui-même la valeur de ses déclarations, s’il veut être sérieux, il a un moyen bien simple : qu’il conforme sa politique à son langage, qu’il se montre prêt à accepter les idées, les conditions sans lesquelles il n’y a pas de gouvernement, qu’il désavoue sans subterfuge et sans réticence toutes les solidarités révolutionnaires et radicales, qu’il dise un non résolu aux réformes qui ne sont qu’une chimère ou un danger. Il n’a qu’à déclarer une bonne fois qu’il n’est ni avec ceux qui veulent bouleverser la situation religieuse du pays, ni avec ceux qui veulent bouleverser la société civile et économique ; qu’il est tout simplement pour une république régulière, conservatrice, respectueuse de toutes les traditions comme de tous les intérêts de la France. On commencerait peut-être alors à comprendre. Est-ce là ce que fait l’ancien président du conseil ? Il s’en garde bien. En paraissant combattre le radicalisme ou en se débattant pour rire, il se hâte au contraire de le flatter, de lui donner sa part et son rôle. Il se fait un honneur d’avoir accompli quelques-unes des œuvres les plus radicales du temps. Qui a pu prétendre qu’il aurait dit un jour à Rouen ou au Havre que le péril de la république était à gauche ? Il aura sûrement été mal compris. L’ancien président du conseil a le malheur d’être un des hommes les plus incompris de son siècle ! Il a voulu parler tout au plus des intransigeans, des « agités, » des « brouillons. » Il ne veut pas qu’on le brouille avec les vrais radicaux, avec