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certaine disposition à chercher l’occasion d’un nouveau conflit, de ce qu’on appelle la revanche ? Au premier coup d’œil, rien de semblable n’apparaît, assurément. On aurait dit plutôt que, depuis quelque temps, les deux gouvernemens s’étaient étudiés à se rapprocher politiquement, autant que cela était possible, à nouer de meilleurs rapports, même à poursuivre ensemble la solution de questions qui intéressent l’Europe. De plus, s’il y a aujourd’hui dans notre pays, en dépit de quelques effervescences isolées et partielles, un sentiment vivace, saisissable, c’est le désir de la paix, le sentiment de la nécessité de la paix. La France, déjà liée par des entreprises coloniales qu’elle paie du sang de ses soldats, qui pèsent sur son budget, n’a sûrement pas l’impatience de se retrouver pour le moment sur d’autres champs de bataille, et ce n’est pas, dans tous les cas, la loi de recrutement préparée par les radicaux de la dernière chambre qui peut passer pour une démonstration menaçante, pour l’organisation d’une armée prête à entrer en campagne. Il n’y avait donc pas de prétexte sérieux et sensible à invoquer. Qu’est-on allé chercher ? Il a suffi d’un simple article de journal comme il en paraît sans cesse, depuis quelques années, dans les deux pays, sur l’organisation des forces nationales, sur les armes, sur les défenses des frontières. Un écrivain militaire a cru devoir étudier, en dehors de toute préoccupation politique, au point de vue technique, le rôle et la composition de la cavalerie française de l’est en mettant en regard la composition et le rôle de la cavalerie allemande au-delà des Vosges. Il n’en a pas fallu davantage. Aussitôt, sur ce simple fait, la vigilante sentinelle de Berlin a pris feu, et comme la raison était insuffisante, comme, d’un autre côté, la France ne paraissait nullement agitée d’ardeurs belliqueuses, on a flairé quelque mystère ; on s’est mis un peu de toutes parts à chercher comment cette même Gazette de l’Allemagne du Nord, qui, il y a peu de jours à peine, célébrait la « solidité du caractère éminemment pacifique de la politique internationale, » avait pu découvrir si vite de si noirs nuages à l’horizon des Vosges. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que les autres journaux allemands, un peu surpris peut-être de la sortie de la gazette berlinoise, mais jaloux de suivre le mouvement, se sont évertués à leur tour à réveiller tous les griefs, à chercher, à imaginer toute sorte de motifs à défaut du prétexte qui ne leur paraissait pas à eux-mêmes bien sérieux. À tout hasard, ils ont rouvert le feu contre notre pays en mettant la France en cause dans ce qu’elle fait et dans ce qu’elle ne fait pas, dans ses sentimens présumés, dans ses projets, dans ce qu’elle est censée préméditer. Et voilà comment s’engagent ces campagnes de plume entreprises, dit-on, pour le bien des peuples, pour la paix de l’Europe !

Des polémiques ne sont point sans doute des actes de diplomatie