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anciennes divisions du travail. « On m’offre le commandement d’un corps d’infanterie, m’écrivait, au mois de janvier 1871, le jeune capitaine de l’Héroïne, neveu de l’amiral Bruat et digne héritier de ce nom : triste symptôme du peu de ressources qui restent à la France. » Pas si triste, après tout, à en juger du moins par la façon dont le modeste officier sut s’acquitter de son nouveau mandat. Je ne veux parler ici que des morts : que serait-ce si j’évoquais le souvenir des services rendus par les vivans !

Quand nous considérons l’état de civilisation où le développement des idées chrétiennes a conduit le monde, nous avons vraiment quelque peine à comprendre comment le monde ne s’est pas depuis longtemps lassé de ces stériles problèmes qui n’ont que la destruction pour objet. Mais est-ce bien aux vaincus de Chéronée qu’il appartient défaire les premiers un bûcher de leurs javelots ? Quelques vœux qu’on forme pour la paix, il serait imprudent d’oublier deux proverbes qui, sous leur forme triviale, résument bien sur ce point la politique imposée aux nations les plus éprises de leur tranquillité et les moins ennemies de la tranquillité des autres. « Si les lièvres portaient des fusils, on n’en verrait pas tant au marché, » m’a toujours paru une réflexion empreinte d’une profonde sagesse ; et quand la philosophie populaire complète sa pensée en ajoutant : « Faites-vous mouton, le loup vous mange, » je sens, malgré moi, s’évanouir les derniers scrupules qui alarmaient ma conscience. Les dépenses militaires sont sans doute les plus improductives, les moins justifiables de toutes : jamais siècle les vit-il portées à un excès comparable à celui sous lequel les finances de l’Europe aujourd’hui succombent ? Acceptons néanmoins résolument le fardeau : nous exposerions trop notre existence même à vouloir prématurément nous on décharger ; demandons seulement en échange une sécurité complète. Voilà, je l’avouerai, la préoccupation, — pourquoi ne dirai-je pas l’inquiétude, — qui me fait attacher un si grand intérêt à la constitution d’une flotte défensive.

Lorsqu’une batterie de deux canons pouvait tenir en échec un vaisseau de ligne, la protection du littoral était chose facile : la côte française n’a jamais été sérieusement inquiétée sous le premier empire, bien que le pavillon britannique flottât alors en maître sur toutes les mers du globe. Un boulet qui brisait un mât de hune ou une vergue mettait un vaisseau en perdition : comment, dans des conditions pareilles, les vaisseaux ne se seraient-ils pas tenus respectueusement à l’écart ! Aujourd’hui tout est changé : les vaisseaux cuirassés, les canonnières elles-mêmes ne sont plus à la merci d’un coup de canon. Nous retournons insensiblement aux jours où les