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pape sous un aspect qu’il ne connaissait pas encore. Le salut de Gênes assuré par un seul trait d’audace, les acclamations de la foule saluant l’intrépide hourque quand elle rentra au port, ont enfin conquis ce cœur rebelle à la noble profession de ses ancêtres. Doria n’y rencontrera d’émulé digne de lui que le fondateur de l’Odjak d’Alger. L’histoire de la marine, pendant la première moitié du XVIe siècle, n’est à tout prendre, si l’on veut bien y regarder de près, que l’histoire de Doria et de Barberousse. L’histoire des armées n’est-elle pas, durant la même période, faite presque tout entière de la rivalité de François Ier et de Charles-Quint ? Quand la vie des peuples se résume ainsi dans quelques personnalités éclatantes, le drame y gagne tout à la fois de l’intérêt et de la clarté. Le pêle-mêle confus au milieu duquel se débattent, après la mort d’Alexandre, les Diadoques et les Épigones, m’a fait bien souvent regretter que le vainqueur d’Arbèles ait eu des successeurs.


IV

A l’heure où Doria et les Barberousse jetaient les fondemens de leur fortune, Soliman gouvernait, au nom de son père, l’Anatolie. Son pouvoir s’étendait sur toute l’Asie-Mineure. A l’âge de vingt-six ans, la mort de Sélim Ier vint l’appeler en l’année 1520 à ceindre le sabre d’Othman dans la mosquée de Sainte-Sophie. Jamais astre victorieux ne monta plus rapidement dans le ciel. Ce barbare, trop souvent asservi par d’étroits préjugés, n’en possédait pas moins la plupart des instincts généreux d’Alexandre et, par une coïncidence singulière, le sort semble s’être complu à multiplier les analogies entre ces deux grandes figures historiques. Sélim fut incontestablement pour Soliman ce qu’avait été Philippe pour Alexandre : il laissait à son fils un fruit mûr à cueillir. Dans le grand-vizir qui, après la prise de Rhodes, remplaça Piri-Pacha, nous n’hésiterons pas à reconnaître un second Ephestion. Le fils d’un matelot de Parga, enlevé, sur la côte de Dalmatie, par des corsaires turcs, devint, le 27 juin 1523, le premier ministre de l’empire ottoman.

« Quand Dieu donne la fonction, disent les Turcs, il donne en même temps la capacité pour la remplir. » Tout l’édifice administratif de la Sublime-Porte est fondé sur cette espérance : le 27 juin 1523, le, ciel, il faut bien l’admettre, doit avoir dépassé les limites ordinaires de sa largesse. Le jeune Ibrahim, d’abord esclave d’une veuve de Magnésie, puis bientôt compagnon inséparable de l’héritier présomptif du trône, était fait, par ses rares aptitudes, pour honorer le poste, si haut qu’on le suppose, où la fortune voudrait l’élever. Chef des pages et grand fauconnier à l’avènement du fils de Sélim, il débuta comme Albert de Luynes pour arriver, avec non moins de