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Au début, elle compta 167 galères : 81 vénitiennes, 36 pontificales, 36 espagnoles. Charles-Quint y joignit, au dernier moment, 50 naves, sur lesquelles il fit embarquer 10,000 hommes de troupes. Les forces réunies étaient considérables. Elles comprenaient, d’après les calculs les plus autorisés, de 59,000 à 60,000 hommes, 195 navires et 2,594 canons. Malheureusement on ne pouvait s’entendre sur l’emploi qu’il fallait faire d’une aussi puissante armée. L’Angleterre a longtemps vu toute sa politique dominée par le désir de défendre à outrance le Hanovre : la république de Venise subordonnait ses plans à la protection des îles Ioniennes ; Charles-Quint avait surtout en vue la destruction des établissemens barbaresques. Ces intérêts contraires tendaient nécessairement à se neutraliser : la flotte chrétienne se sentait vouée d’avance à d’interminables délibérations.

La concentration des escadres devait avoir lieu à Corfou : décidée en principe, elle s’opérait lentement. Les Vénitiens arrivèrent les premiers au rendez-vous : Vincenzo Cappello venait de remplacer dans le commandement Pesaro, parvenu, s’il nous est permis d’employer ici une expression toute moderne, au terme de son exercice. Le sénat comptait à juste titre sur l’énergie du nouvel amiral. Le 17 juin, Marco Grimani, patriarche d’Aquilée[1], amène à son tour, sous le canon de Corfou, la flotte pontificale. Un mois, deux mois se passent : André Doria ne parait pas encore. L’attendrait-on indéfiniment ? Ne pouvait-on employer ce délai si malencontreux à quelque entreprise, ne fût-ce que pour se procurer aux dépens de l’ennemi des rameurs ? La flotte était très incomplètement aimée ; mainte galère, dans l’escadre du pape surtout, ne comptait guère plus de deux hommes par rame. La circonstance est des plus favorables à l’exécution d’un coup de main : si Doria s’attarde à Aigues-Mortes et à Gênes, Barberousse, de son côté, perd un temps précieux à faire fabriquer du biscuit à Négrepont. Grimani insiste pour qu’on le laisse tenter, avec ses seules forces, une descente dans le golfe de l’Arta. L’entrée de ce golfe n’est défendue que par la place de Prévésa, vieille forteresse bâtie sur l’emplacement de Nicopolis, en face du fameux promontoire d’Actium. Grimani se fait fort d’enlever en peu de jours la position. Il part de nuit, arrive à (‘improviste dans les eaux où sombra la fortune d’Antoine, jette ses troupes à terre et franchit l’étroit goulet avec ses vaisseaux. La place cependant ne se montre pas intimidée : elle répond, au contraire, très vigoureusement au feu des galères. Deux capitaines pontificaux, plusieurs officiers sont tués par les premières décharges ; Grimani

  1. Marc Grimani, nommé coadjuteur d’Aquilée l’an 1529, mourut l’an 1543. Il était frère de Marin Grimani, fait cardinal en 1527 par le pape Clément VII.