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vents qui soufflent du nord au sud en passant par l’ouest. Une assez forte boule battait en côte : naves et galères roulèrent toute la nuit bord sur bord. Le 26, au matin, le vent d’ouest tomba et fut remplacé par une légère brise de nord. Qui profiterait le premier de cette accalmie ? Barberousse, pour se porter à l’encontre de la flotte chrétienne, ou Doria pour franchir la passe et aller attaquer la flotte ottomane sur ses ancres ? Des deux côtés, on se sentait incliné par de puissans motifs à l’inaction. Barberousse n’était pas encore autorisé à exposer les forces navales de l’empire à un choc si manifestement inégal ; Doria ne pouvait guère songer à se présenter de pointe à cette flotte embossée, appuyée aux murs d’une forteresse : seul un débarquement ferait peut-être tourner les chances en faveur des chrétiens. C’était là précisément ce que redoutaient les Turcs. Autour de Barberousse, les reïs assemblés demandaient à grands cris qu’on s’occupât de parer au danger d’une descente. La chose n’avait pas, il est vrai, trop bien réussi à Grimani, mais Doria disposait de moyens plus puissans : s’il se résignait à dégarnir ses galères, il pourrait mettre à terre près de 20,000 hommes. Nous sommes toujours portés à prêter à l’ennemi des projets, que, placés dans sa situation, nous n’oserions pas envisager nous-mêmes. Pour Sinan-Reïs, entre autres, un débarquement de la part des chrétiens ne faisait pas doute. Froissé dans son orgueil de vieil Osmanli par la prééminence d’un corsaire barbaresque, Sinan soutenait son opinion avec une vivacité de fâcheux augure pour la bonne harmonie que l’approche du combat rendait doublement nécessaire. Se refuser à transporter des canons sur le rivage de la rade foraine occupée en ce moment par les chrétiens était, à ses yeux, une impardonnable négligence ; peu s’en fallait qu’en son for intérieur il ne flairât dans cette négligence une trahison. Les gens effrayés voient des traîtres partout.

Le péril que prétendait conjurer Sinan-Reïs n’était pas, il faut bien le dire, tout à fait imaginaire. L’idée d’un débarquement avait été sérieusement agitée dans le conseil tenu le matin même par André Doria. Fernand de Gonzague, le commandant des troupes[1], l’appuyait de tout son pouvoir : « Puisqu’on ne peut, disait-il, aller droit à l’ennemi, forcer sous son canon et sous celui de la citadelle l’entrée de la rade, pourquoi ne tenterions-nous pas de réduire par un siège le château de Prévésa ? Maîtres de cette hauteur, nous fermerions la passe en y coulant des vaisseaux chargés de pierres et

  1. Ferdinand ou Ferrant Ier de Gonzague, né le 28 janvier 1507, mort à Bruxelles le 15 novembre 1557 ; vice-roi de Sicile en 1536 après le siège de Tunis et l’expédition de Charles-Quint en Provence.