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surveiller Barberousse. Les eunuques ont toujours joué un grand rôle dans les sociétés orientales : plus d’un a commandé avec distinction les armées. Sans remonter jusqu’à l’eunuque Narsès, c’était encore un eunuque, — ajoutons même, pour mieux montrer combien l’âme peut être indépendante de sa misérable enveloppe, — un eunuque octogénaire, hideuse masse de chair que quatre hommes prenaient sous les bras pour la soulever, le fameux Soliman-Pacha, en un mot, qui, à cette heure même où Barberousse tenait en échec l’armée de la ligue, conquérait, avec une flotte improvisée à Suez, la péninsule arabique, poussait à travers la Mer-Rouge et l’Océan-Indien jusqu’aux côtes du Guzerate et allait mettre le siège devant Dhiù, place à jamais célèbre par l’opiniâtre défense des Portugais. Tous les héros ne se présentent pas sous l’aspect d’Achille ou sous celui de Gonzalve de Cordoue. L’eunuque qui servait de conseiller légal à Barberousse, — l’historien espagnol Sandoval lui attribue le nom de Monuc, — paraît avoir, comme le vieux Soliman-Pacha, conservé, malgré sa mutilation, le diable au corps. — « Allez-vous donc, dit-il à Barberousse, laisser les infidèles s’éloigner sans essayer de leur livrer bataille ? Voici l’instant de montrer votre courage et votre science de corsaire, l’instant de gagner enfin le pain que vous mangez. Soliman ne manquera pas de bois pour construire une autre flotte, si celle que vous commandez est détruite ; les capitaines ne lui feront pas davantage défaut ; ce qu’il ne vous pardonnerait pas, ce serait d’avoir pu combattre et de ne l’avoir pas voulu. » Semblable langage harcelait l’infortuné Villeneuve la veille de Trafalgar. Villeneuve sortit, le cœur navré, de la baie de Cadix ; Barberousse fit tirer le coup de partance et, se plaçant à la tête de sa flotte, la conduisit en dehors des hauts-fonds qui bordent l’entrée du golfe d’Arta. « Allons donc combattre, dit-il à Salih-Reïs, quoique l’ennemi nous soit de beaucoup supérieur. Si nous hésitions, ce beau parleur, qui n’est ni homme ni femme, nous accuserait auprès du grand-seigneur, et le grand-seigneur probablement nous ferait pendre. »


VII

La flotte chrétienne avait fait dans la direction du sud, pendant la nuit du 26 au 27 septembre, une trentaine de milles. Quelques heures avant le lever du jour, le vent fraîchit et devint tout à fait contraire. Doria se rapprocha de l’île Sainte-Maure et jeta l’ancre à la hauteur du petit îlot de la Sessola. Le galion et quelques naves apparaissaient au loin faisant force de voiles pour rejoindre la flotte. Barberousse, avant de se résoudre à tenter une sortie dont il ne se