Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inoffensifs dans la mâture des vaisseaux anglais. Le vice-amiral Émérian fut un des premiers à s’en apercevoir, et après lui le capitaine Baudin, commandant le brick le Renard, répétait, à deux cent soixante-seize ans d’intervalle, la sage recommandation de Condulmiero : « Tirez bas ! » Le capitaine du Renard ajoutait même, pour mieux justifier son précepte : « Tirez bas, mes amis ! les Anglais n’aiment pas qu’on les tue. » Il n’y a plus aujourd’hui que la torpille bien réglée qui aille droit à son but, sans décrire une parabole, c’est encore un de ses avantages sur l’obus et sur le boulet.

La première bordée du galion fut terrible : un boulet de 120 livres, tiré par le chef des bombardiers en personne, Francesco d’Arbe, fracassa tellement la proue d’une galère, que l’équipage épouvanté se porta tout entier à la poupe, dans l’espoir de maintenir l’avant entr’ouvert hors de l’eau. La blessure était trop vaste et trop profonde : la galère s’emplit en quelques minutes et disparaît en tourbillonnant. Le reste des vaisseaux turcs n’attend pas une seconde volée. L’ordre de scier a été donné : il est exécuté avec une rare énergie. Quand les galères, refoulant les Dots par la poupe, se sont mises hors de la portée du canon, les bombardiers se hâtent de recharger leurs pièces. Le galion ne va pas tarder à subir une nouvelle attaque, seulement l’attaque sera cette fois plus prudente et plus méthodique : ce sera une attaque par échelons. Un peloton de quinze ou vingt galères se porte en avant, fait feu et se retire en arrière aussi vivement qu’il est venu ; un second peloton lui succède et répète la manœuvre ; un troisième peloton prend incontinent la place laissée vide. Ce feu roulant, à peine interrompu par quelques intermittences, se prolonge d’une heure après midi au coucher du soleil. Le galion eut, dans cet engagement, 13 hommes tués et 40 blessés. Il était tellement rempli d’éclats de bois que la circulation y semblait impossible. Un boulet traversa le vaisseau de part en part à la hauteur de la dunette, brisant sur son passage les batayoles du château d’avant, la grand’hune et la vergue d’artimon ; d’autres projectiles emportèrent l’habitacle des boussoles, une caisse remplie de flèches, les deux pompes, la chaloupe, les ancres, une portion du guindeau, pénétrèrent dans la soute aux vivres et sortirent sous l’eau. La plupart de ces projectiles étaient du plus fort calibre. Après le combat, on recueillit, sur le pont du galion ou dans sa membrure, 13 boulets de 60 livres. Le feu éclata deux fois à bord : des gargoussiers qu’on avait laissés dans l’entrepont, enveloppés d’une couverture de laine, firent explosion jet allumèrent l’incendie. Couvert de sang, atteint au flanc droit et à la face par les débris qui volaient de tous côtés, le capitaine