Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/202

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

christianisme contemporain n’est pas celui de Pascal, je n’en demande au besoin d’autre preuve que le livre de M. Ricard, « prélat de la maison du pape, » sur les Premiers Jansénistes et Port-Royal.[1]. Si M. Gory n’avait rien dit que n’eussent dit avant lui M. Frantin ou M. Astié, M. Ricard n’a rien dit lui non plus que n’eût dit avant lui, dans un très bon livre, quoique très partial, M. l’abbé Fuzet, et Joseph de Maistre avant l’abbé Fuzet, dans son livre fameux sur l’Eglise gallicane. On se rappelle de quelle manière les jansénistes y sont traités, avec quelle amusante et aristocratique impertinence, mais surtout de quel accent profond de vengeance et de haine. Les plaisanteries fort libres, et d’assez mauvais goût, que M. Ricard n’a pas hésité d’y joindre, font à peu près la seule nouveauté de son livre.

Le livre de M. Nourrisson sur Pascal, physicien et philosophe, est du moins plus sérieux, mais à peine plus neuf. Je m’étonne surtout d’y rencontrer encore, en 1885, de ces argumens que l’on avait quelque droit de croire à jamais périmés : « Quelles objections, se demande naïvement M. Nourrisson, quelles objections Pascal pourrait-il élever contre ces propositions : Je pense, donc je suis ; je suis, et le moi est une âme, qui, par ses attributs, se distingue essentiellement du corps ? » Quelles objections ? Mais toutes les objections du scepticisme, tant ancien que moderne, ou toutes celles du matérialisme, ou toutes celles du panthéisme, ou toutes celles du criticisme, combien d’autres encore ! et se peut-il vraiment que de nos jours un « philosophe » se paie ainsi de son spiritualisme ! On jugera, sur ce seul trait, de l’originalité du livre de M. Nourrisson. Au contraire, ce n’est point par l’originalité que manque l’Introduction générale de M. Derome aux Œuvres de Pascal, ou plutôt rien ne la gâte autant que la constante prétention de M. Derome à l’originalité, — non pas même le désordre et la confusion dont cette Introduction est un rare modèle. J’en suis fâché pour M. Derome. Car, de loin en loin, je dois le dire, des lueurs ou des clartés brillent parmi cette confusion, et, à force d’y prétendre, M. Derome atteint quelquefois à l’originalité. Sur bien des choses, qui n’ont d’ailleurs avec Pascal et ses œuvres que des rapports assez lointains, M. Derome a ce que l’on appelle des vues, les unes singulières, les autres ingénieuses ; et, sur Pascal même, sur les Provinciales et sur les Pensées, il ne s’est pas contenté de répéter ce qu’en savait tout le monde.

En nous aidant de ces quatre volumes, et recherchant ce qui ne s’y trouve pas plutôt que ce qu’ils contiennent, voyons donc ce qu’il y aurait à dire de nouveau sur Pascal, ou, — pour parler plus modestement et plus selon la vérité, — quels sont les points de sa vie et de son

  1. Les Jansénistes et leur Dernier Historien, par M. l’abbé Fuzet. Paris, 1870 ; Bray et Retaux.