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de Pascal ; mais de me dire quelle portée d’esprit scientifique, quelle puissance de réflexion, quelle capacité d’invention nous y devons reconnaître. Penserez-vous que ce soient là de ces questions oiseuses ? « Je me crois obligé de reconnaître, écrivait Nodier, voilà bien des années, que le plagiat de Pascal, dans ses Pensées, est le plus évident peut-être, et le plus manifestement intentionnel dont les fastes de la littérature offrent l’exemple ; » et M. Nourrisson déclare que, pour excessives qu’elles soient, « ces paroles de Nodier n’en restent pas moins en partie fort justifiées. » Nous ne sommes pas de son avis, et encore moins de celui de Nodier, mais pour tous ceux qui le partageraient, et nous en connaissons plus d’un, c’est la discussion des titres scientifiques de Pascal qui seule établira sa force d’invention. Tel est en effet sur la foule, et sur quelques habiles aussi, le prestige naturel de ce mot de science. Et c’est pourquoi, du jour où l’on aura montré, par des raisons accessibles à tous, que Pascal est l’égal des Leibniz et des Newton dans la science, on comprendra que l’on se trompe à parler encore des « plagiats » de l’auteur des Pensées.

La question appartient aux savans ; celle-ci appartient aux médecins ou aux physiologistes : quelle était cette maladie mystérieuse, étrange, dont on sait que Pascal fut attaqué dès la première enfance, qui se manifesta plus tard par des accidens si bizarres, et qui finit par l’emporter avant qu’il eût accompli sa quarantième année, — l’âge où Molière avait à peine commencé d’écrire, et où Bossuet n’avait rien imprimé ? Le docteur Lélut, jadis, dans un livre assez mal fait et d’une grande prétention philosophique : l’Amulette de Pascal, avait abordé la question. Mais l’amulette de Pascal, — qui n’est pas plus une « amulette » qu’un objet que l’on porte en mémoire d’une personne chère ne s’appelle en français un « fétiche, » — n’a rien à faire ici. Que si d’ailleurs, à cette occasion, rassemblant tous les symptômes connus de la maladie de Pascal, le docteur Lélut avait bien essayé d’en inférer la nature de l’affection ; la connaissance des maladies nerveuses, depuis tantôt un demi-siècle, a fait trop de progrès pour qu’il n’y ait pas lieu de revenir sur ce douloureux problème. Car une âme comme celle de Pascal peut bien toujours demeurer « maîtresse du corps qu’elle anime, » c’est-à-dire de ses actions ; elle l’est peut-être moins constamment du cours que prennent ses pensées. Or, c’est là le problème, et non pas de savoir, comme le voulait Lélut, si Pascal était un « halluciné ; » ou, comme le veut M. Derome, si le génie est une « névrose. » Non, le génie n’est pas une névrose, mais il ne suffit pas à nous préserver d’en avoir une ; et inversement, pour avoir une névrose, nous ne tombons pas au-dessous d’un lourdaud, d’un enfant, d’une bête. Mais « les maladies nous gâtent le jugement et le sens. Et si les grandes l’altèrent sensiblement, je ne doute point que les petites n’y fassent impression à proportion. » C’est Pascal qui l’a dit