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Pascal au désert de Port-Royal-des-Champs, quand nous rencontrerons, non loin des allées où le philosophe promène ses Pensées, la silhouette d’une jeune religieuse entrée en même temps que lui, et sur ses conseils pressans, au même monastère de Port-Royal. » Par où nous voyons qu’il n’est rien qu’un prélat de la maison du pape ne se puisse aujourd’hui permettre contre un janséniste, et je pense qu’en se le permettant il croit servir la cause de sa religion.

Voilà des années, cependant, qu’un érudit qui connaît mieux que personne de France, aujourd’hui, les choses du jansénisme, avait fait justice de ces suppositions. Mais M. Ricard n’a pas lu M. Gazier, et je crains que M. Derome ne s’en soit également dispensé. Je ne ferai point ici de grandes phrases, et je ne dirai pas, avec Victor Cousin, que l’on fait injure « au bon sens et à la loyauté » de Pascal, en osant croire qu’il ait levé les yeux sur Mlle de Roannez ; mais je me contenterai de rappeler tout simplement que, si Pascal a ai nié, M. Gazier a prouvé sans réplique que ce n’était point Mlle de Roannez[1]. M. Derome a donc pris une peine bien inutile en essayant d’établir, à son tour, non-seulement que Pascal avait aimé Mlle de Roannez, mais encore qu’il eût pu prétendre à l’épouser, l’ajouterai bravement, quant à la question même de savoir si Pascal a aimé, que je ne vois pas bien l’intérêt qu’il y aurait à la tant éclaircir. Pour admirer, si nous l’admirons, le Discours sur les passions de l’amour, nous n’avons pas besoin d’y voir une confession de Pascal. Supposé que ce discours fût encore plus parlant qu’il ne l’est, si je puis ainsi dire, c’est nous, modestes écrivains, et non pas les Pascal, qui ne saurions analyser ou peindre que les passions que nous avons vécues. Mais s’il est une faculté qui soit le propre du génie, c’est celle d’anticiper ou de suppléer l’expérience, et Pascal, j’ose le croire, en était bien capable, en amour comme en politique. C’est l’opinion de M. Gazier, c’était aussi celle de Sainte-Beuve. Nous nous y rangerons d’autant plus volontiers que nous ne voyons pas la marque de Pascal empreinte si manifestement ni si profondément dans le Discours sur les passions de l’amour, et qu’au surplus il n’est pas prouvé que ce discours soit vraiment de Pascal. Les manuscrits eux-mêmes se bornent à le lui attribuer.

Après Pascal joueur et Pascal amoureux, croirons-nous davantage au Pascal « homme politique » que nous présente M. Derome ? Et M. Derome n’entend pas seulement par là ce que sait tout le monde, que Pascal, dans ses Pensées, aurait approfondi plus avant que pas un de nos publicistes du XVIIIe siècle quelques-uns des plus difficiles problèmes de l’art de gouverner ; il entend que Pascal aurait lui-même rêvé de mettre la main aux affaires, et que les Pensées trahiraient, comme il

  1. Voyez, dans la Revue politique et littéraire du 21 novembre 1877 : le Roman de Pascal ; par M. A. Gazier.