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sité bienveillante, jusqu’au jour où on les soupçonnait de conspirer contre l’état. Soyez disciple de Fo ou sectateur du taoïsme, vous serez un bon Chinois si vous êtes un bon fils, en voie de devenir un bon ancêtre, et si vous croyez fermement que l’empereur a dans les yeux quelque chose qui tue ou qui fait vivre. Sur tout autre point, le doute est permis. La Chine a ses bonzes, elle a ses sceptiques ; elle a même ses spéculatifs, qui disent avec un de ses poètes : « Nous avions épuisé ce que la parole peut rendre, nous demeurions silencieux. Je regardais les (leurs immobiles comme nous, j’écoutais les oiseaux suspendus dans l’espace, et je comprenais la grande vérité. » L’auteur du Monde chinois, M. Daryl, pense que les meilleurs missionnaires qu’on pût envoyer en Chine seraient des positivistes, qui prêcheraient aux Célestes les doctrines d’Auguste Comte et de M. Herbert Spencer. Sans doute plus d’un mandarin leur ferait bon visage ; mais en retour, ils ne pourraient se dispenser de faire quelques concessions à leurs catéchumènes. Ils devraient s’engager à élever dans leur maison un autel aux ancêtres, avec les accessoires voulus, et chaque jour, après s’être lavé les mains, ils brûleraient de l’encens et s’agenouilleraient quatre fois. Avant de partir pour un voyage, ils seraient tenus d’en avertir leurs morts, en disant : Je pars pour tel endroit. A peine revenus, ils s’empresseraient de s’informer de leur santé, et ils s’agenouilleraient encore. Le Chinois le plus sceptique a les genoux flexibles, et nous doutons que M. Spencer, qui a peu de goût pour les génuflexions, se sentît jamais chez lui sur les bords du Fleuve-Jaune.

Parmi les philosophes de tous les pays et de tous les temps, Confucius est le plus agréable aux positivistes, et M. Daryl le définit « un saint-simonien d’il y a trois mille ans. » Il faisait peu de cas de la métaphysique, il posait en principe qu’il ne faut pas scruter l’origine des choses. Il ne s’occupait, pour sa part, que des causes secondes, et il réduisait la philosophie à la morale, et la morale à la science de rendre les Chinois heureux, pacifiques et faciles à gouverner. Admirateur passionné des temps antiques, il s’appliquait à faire revivre le passé ; en toute chose il préférait le vieux au neuf, et toute tradition lui était sacrée. On a dit de lui que c’était un Socrate qui n’avait pas trouvé son Platon ; il aurait eu de la peine à le trouver. Socrate, ce divin ergoteur, a revendiqué le premier les franchises de l’esprit humain, le droit de libre examen et d’universelle discussion. S’il obéissait aux lois de son pays, il ne respectait que celles de sa conscience, et il jugeait ses juges. Confucius, au contraire, faisait consister la vraie philosophie dans la soumission, l’abstinence et la discipline silencieuse de l’esprit, dans l’habitude de ne rien discuter, de croire que les choses sont plus raisonnables que nous, que nous passons et qu’elles ne passent point. Il enseignait que le vrai sage respecte tout,