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humbles églises. Il recommande à ceux à qui il écrit de garder le souvenir de ces noms et de leur donner une place dans leurs prières.

N’oublions pas que les victimes dont il s’agit sont des chrétiens, et que c’est à ce titre qu’ils sont secourus. C’est le Christ lui-même, dit Cyprien, qu’on assiste en eux. C’est une association qui vient en aide à ses membres. Voilà, en effet, comment la charité publique s’est introduite dans le monde, chez les juifs d’abord, puis chez les chrétiens. Mais il est venu un temps où les chrétiens, ç’a été tout le monde. Alors les habitudes prises ne se sont pas perdues ; le service public de ces aumônes s’est continué, et la charité, s’élargissant, s’y est confondue avec l’humanité. Cela s’est d’autant mieux perpétué, que l’église toute-puissante dirigeait ce service et en disposait, et qu’il contribuait au développement de sa puissance. Dans des temps bien voisins de nous, les œuvres établies pour le rachat des captifs enlevés par les Barbaresques n’étaient que la suite de celles à laquelle nous voyons dans cette lettre que l’évêque de Carthage est occupé.

C’est là à peu près tout ce que nous fournit la correspondance de Cyprien ; mais un événement considérable dans l’histoire du temps et dans celle de sa vie est celui qui lui suggéra le discours de la peste, de Mortalitate[1]. Cette peste, dont Cyprien a décrit avec une grande précision les terribles symptômes, éclata peu après la mort de Décius ; elle fut, dit Orose, le châtiment de la persécution, et étendit ses ravages partout où avaient été portés les édits qui ordonnaient l’extermination des chrétiens. Mais les fidèles n’étaient pas moins frappés que les gentils, et Cyprien eut besoin de toute son éloquence pour raffermir les âmes troublées. Le fond du discours se compose de ces lieux-communs édifians que la chaire chrétienne empruntait à la chaire des philosophes. La vie étant pleine de misères, ce ne peut être un mal de mourir. D’ailleurs, on échappe par la mort au péché, qui est la pire de toutes ces misères. Tout cela est déjà dans Sénèque. Il est vrai que l’orateur chrétien y ajoute la promesse d’une autre vie et d’une immortalité bienheureuse, promesse plus ferme que les espérances de Platon et de ses disciples ; mais ce qui me frappe dans le discours de Cyprien, ce n’est pas tant encore la foi que le caractère de cette foi, qui tient à celui des temps où il a vécu ; c’est la violence avec laquelle elle repousse le présent pour se jeter vers un lendemain réparateur. Il était dit dans

  1. Notre vieille langue employait aussi le mot de mortalité pour exprimer, non pas seulement la quantité des morts amenées par une épidémie, mais la maladie même qui est la cause de ces morts. Voir l’historique de ce mot dans Littré.