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pendant à la sainteté du Seigneur, la portion la plus belle du troupeau du Christ. C’est en elles que se réjouit et que s’épanouit magnifiquement la fécondité glorieuse de l’église notre mère, et plus se répand et se multiplie leur virginité, plus sa joie maternelle s’augmente. C’est à elles que je parle ; c’est à elles que vont des exhortations où il y a plus d’amour que d’autorité ; car, étant le plus petit, le dernier de tous, j’ai trop conscience de ma faiblesse pour prétendre exercer un droit de censure ; mais ma tendresse inquiète craint d’autant plus pour elles le diable et ses trahisons. » Cette fois, le morceau est charmant, et les vierges ont dû être gagnées tout d’abord à l’orateur par les caresses de sa parole et par ses respects délicats. Remarquons que Cyprien nous fatigue quelquefois ailleurs par les formules convenues de l’humilité chrétienne ; mais ici il n’y a rien de trop, précisément parce que c’est devant des jeunes filles qu’il s’incline. Et, au contraire, il y avait quelque chose de très heureux à faire sentir ainsi qu’il n’avait pas oublié que les passions qui avaient agité sa jeunesse ne lui donnaient pas le droit de prendre un ton sévère en parlant de mœurs et de pureté.

Mais Cyprien a atteint, en effet, dans ce discours, au grand style[1], je veux dire simplement à la forte et véritable éloquence, quand, après avoir dit qu’il ne sied à aucun chrétien, et moins encore à une vierge, de compter pour quelque chose l’éclat et la beauté de la chair, il ajoute brusquement : « Ou s’il faut se glorifier de la chair, ce sera, à la bonne heure, quand elle est déchirée pour confesser le nom du Christ, quand une femme se montre plus forte que les hommes qui la torturent ; quand, mise en présence du feu, des croix, du glaive ou des bêtes, elle souffre tout pour arriver à la couronne. Voilà pour la chair les colliers précieux ; voilà pour le corps les belles parures. » N’oublions pas qu’il prononçait ces paroles au lendemain d’une persécution.

Une chose est faite pour étonner les chrétiens modernes dans le discours aux vierges, c’est que le nom de celle qu’ils appellent simplement la Vierge ne s’y trouve pas. Et nulle part ailleurs, dans aucun de ses écrits, Cyprien n’a parlé d’elle, et il ne paraît pas qu’il ait pensé à elle une seule fois. On sait que pas une seule fois non plus il n’est parlé d’elle dans Paul. Il faut aller jusqu’à Ambroise, c’est-à-dire jusqu’à plus d’un siècle au-delà de Cyprien, pour trouver la pensée de Marie mêlée à une prédication sur les vierges et sur la virginité.

  1. Quant au style simple et tout uni dans Cyprien, submissus, l’exemple cita par Augustin est emprunté aux paragraphes 2-4 de la lettre 63.