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N’aurait-il pas été préférable d’annexer la Bosnie-Herzégovine à la Serbie ? Supposons l’Autriche absolument désintéressée, au point même de se résigner d’avance à voir, un jour, la Croatie se joindre à la Serbie accrue de la Bosnie, reconstituant ainsi l’empire de Dou-chan, deux grandes difficultés se présentent aussitôt. La première est celle-ci : les musulmans bosniaques qui ont résisté à une armée autrichienne de 80,000 hommes et qui ne sont contenus que par un corps de 25,000 soldats d’élite, se soumettent à l’Autriche, parce qu’ils savent qu’elle peut disposer à l’instant d’un demi-million de troupes excellentes ; mais accepteraient-ils de même la domination de la Serbie, qui n’a, en temps ordinaire, que 15,000 hommes sous les armes ? Il y aurait là un danger permanent de conflits et une cause de dépenses qui ruinerait les finances du jeune royaume serbe en accablant les contribuables. Le second obstacle est encore plus sérieux. La Bosnie-Herzégovine annexée à la Serbie serait de nouveau séparée de la Dalmatie, et, par conséquent, du littoral et des ports, qui en sont le complément naturel et indispensable. Rien ne serait plus regrettable. Ce serait une insurrection contre les nécessités géographiques, qui frappent tous les yeux et qu’a reconnues le traité de Berlin. Il ne faut pas poursuivre un idéal actuellement irréalisable. En favorisant le développement de la richesse et de l’instruction en Bosnie, l’Autriche prépare la grandeur de la race jougo-slave. L’avenir saura trouver des combinaisons définitives : Futa viam inventent. Le mouvement des nationalités, qui tend à fondre dans un même état les populations de même race et de même sang, est si puissant, si irrésistible qu’un jour viendra où toutes les tribus slaves du Midi arriveront à se réunir, sous un régime fédéral, soit au sein de l’empire autrichien transformé, soit dans une fédération indépendante. Comme le dit Mgr Strossmayer, c’est au sein de l’Autriche-Hongrie, respectant de plus en plus l’autonomie et les droits des différentes races, que chacune d’elles arrivera à l’accomplissement de ses destinées. Le gouvernement autrichien donnera à la Bosnie des voies de communication, des écoles, des moyens d’exploiter ses richesses naturelles, et surtout, ce qui a manqué ici depuis la chute de l’empire romain, de la sécurité, condition de tout progrès. Il le fera, car il y a intérêt. La Bosnie deviendra ainsi l’un des joyaux de la couronne impériale, et la civilisation fortifiera l’esprit national, étouffé aujourd’hui par les luttes des différentes confessions.

Il est une dernière question que tout le monde me pose et à laquelle il faut bien répondre : L’Autriche, qui est déjà à Novi-Bazar, n’ira-t-elle pas à Salonique ? Certes, c’est un rêve grandiose à réaliser que celui qu’implique le nom même de l’Autriche Oester-Reich,