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d’Arezzo, menacés d’un assaut par les capitaines de César, qui semblaient alors agir en dehors de lui, avaient envoyé l’évêque en ambassadeur au duc des Romagnes, au moment où celui-ci ajoutait chaque jour une nouvelle conquête à celle de la veille. Il venait d’entrer en vainqueur à Urbino et avait reçu Soderini, le 25 juin 1502, dans le beau palais construit par Frédéric de Montefeltre. « Ce seigneur est splendide et magnifique, dit l’évêque dans sa dépêche, et les armes à la main il est si courageux, que les plus grandes entreprises lui semblent faibles. Pour recueillir gloire et profit, il n’y a péril ni fatigue qui le rebute. Il se fait bien voir du soldat, il a accaparé les meilleurs hommes d’Italie et arrive ainsi à être redoutable et victorieux. Ajoutez à cela que la fortune lui est constamment favorable. » Le 9 juillet, Soderini essaie d’obtenir une promesse de neutralité, sinon un gage d’alliance. « Il ne pense en aucune façon à nous enlever quoi que ce soit, écrit encore l’évêque, et ne veut rien de personne ; son but n’est pas d’opprimer, mais bien d’en finir avec les tyrans. D’ailleurs, ajoute-t-il encore, il met en avant tant de raisons qu’il faudrait beaucoup de temps pour lui répondre, car il a de l’esprit et de l’éloquence à revendre. »

Machiavel, lui, remplit trois missions successives auprès de César, et c’est vraiment un des spectacles les plus attachans de l’histoire que cette rencontre de deux tels acteurs sur la même scène. Le secrétaire de la république n’avait pas eu de relations directes avec Borgia avant la deuxième campagne des Romagnes ; mais il suivait de loin sa marche, car ses ambassades en Italie et en France, lors de la campagne de Charles VIII, l’avaient mis à même d’apprécier la politique et la conduite du Vatican. Il avait souvent trouvé le Valentinois sur son chemin et, l’ayant deviné, il l’observait en artiste. Machiavel, en réalité, a toujours poussé la république et le roi de France à ménager Borgia ; c’est lorsqu’il comprit que celui-ci menaçait Florence, que le secrétaire changea de tactique. Mais, même alors, il proposa à la république de faire d’un tel capitaine un allié plutôt qu’un ennemi, et il agit en conséquence. En octobre 1500, il le vit à Urbino pour la première fois, suivit de près ses armées, observa leur discipline, constata par lui-même l’action que le chef exerçait sur ceux qu’il commandait, et, avec sa perspicacité profonde, envisagea le fait important qui résulterait fatalement de ses actes militaires. Quant aux scrupules du jeune capitaine, il sut immédiatement à quoi s’en tenir, car il entendit César, faisant allusion à l’horrible carnage qu’avaient fait ses soldats lors du sac de Pergola et de Fossombrone, qui s’étaient soulevés, dire avec un horrible sang-froid : « Cette année, les constellations sont mauvaises pour ceux qui se révoltent. » Le