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profita de ces dissentimens pour nouer des relations et mettre son beau-frère le roi de Navarre dans ses intérêts. Le 25 octobre 1506, ayant jeté une corde sur un gouffre qu’on croyait infranchissable, il s’évadait de la Mota[1] « par grand miracle, » trouvait des chevaux et des cavaliers navarrais prêts à l’escorter, et, sans débrider, se réfugiait sur les terres du comte de Benavente. En réalité, le chevalier de Ségovie, Gabriel de Japia, lieutenant de l’adelantado de Grenade, don Diego de Cardenas, qui était chargé de le garder, avait fermé les yeux sur sa fuite ; il allait d’ailleurs subir un procès et payer chèrement sa complicité. Du mois d’octobre au mois de décembre, le fugitif vécut sous la protection des Benavente, attendant l’heure où les partisans de l’empereur Maximilien (qui, à la mort de Philippe le Beau, survenue subitement, avait hérité des prétentions de son fils à la couronne d’Espagne) lui donneraient les moyens d’agir. Rien ne se décidait ; César tour à tour eut recours à Louis XII, à sa sœur Lucrèce, à Gonzague et à l’empereur ; abandonné de tous, mais soutenu par les nouvelles qui lui parvenaient des Romagnes, il résolut de se retirer à Pampelune auprès de son beau-frère de Navarre.

Le 3 décembre 1506, César arrivait à Pampelune ; le 7, il expédiait son secrétaire Federigo au marquis de Gonzague avec mission de lui dire de vive voix les péripéties de sa fuite, ainsi que ses projets et ses espérances : « Votre Excellence saura qu’après tant de revers, il a plu à notre Seigneur Dieu de me rendre libre et de me laisser m’évader de, ma prison dans les circonstances que vous dira Federigo, mon secrétaire, porteur de la présente. Plaise à Dieu, dans sa clémence infinie, que ce soit pour son plus glorieux service I Pour le moment, je me trouve à Pampelune, auprès de Leurs Majestés le roi et la reine de Navarre. J’y suis arrivé le 3 décembre. » De Bologne, où la nouvelle de sa fuite parvint à Gonzague, elle se répandit bientôt dans toute l’Italie, et chacun se dit que le Valentinois allait de nouveau jeter son épée dans la balance. L’effervescence fut telle, dans les Romagnes, que Jules II fut contraint de prendre des

  1. Comme Brantôme, en son temps, visitait le donjon, le gardien, en lui montrant l’étroite lucarne par laquelle César avait dû passer pour s’enfuir, lui dit : Por aqui César Borja se salvo, por gran milagro. On a à ce sujet une dépêche de Hiéronimo Vianello, l’ambassadeur de Venise en Espagne, datée de Burgos, 1er novembre 1506, et une autre du 17 du même mois. On n’a jamais donné de détails sur cette fuite ; au dire de Vianello, l’entente avec le roi de Navarre était complète, et César avait mis des gardiens dans le complot. L’un d’eux lui montra la route et passa le premier : la corde était trop courte, le pauvre diable, en se laissant tomber, se démit un membre et resta sur place. César, passant à son tour, eut plus de bonheur, il sauta sur le cheval préparé et gagna le large. Le gardien blessé fut ramassé sur place, interrogé et écartelé.