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successivement, la méthode de M. Taine, ce qu’il nous apprend de nouveau sur la révolution, et enfin ce qui manque à sa conception totale de ce grand événement.


I

Quand je dis que j’examinerai la méthode de M. Taine, je veux bien dire sa méthode, et non pas son système, que l’on a trop souvent confondu avec elle. M. Taine a un système, ou une philosophie, dont il a cherché tour à tour la démonstration dans l’histoire de la littérature, dans l’histoire de l’art, et peut-être encore aujourd’hui dans l’histoire de la révolution. Mais il a aussi une méthode, une manière à lui de procéder dans l’enquête et dans la preuve, dans la recherche et dans la démonstration ; et cette méthode n’est pas si bien liée, si cohérente ou si intime à cette philosophie qu’on ne l’en puisse aisément, et même avantageusement détacher. Supposé que l’homme soit ou ne soit pas libre, capable ou non de résister aux « grandes pressions environnantes, » maître de ses actes et de ses pensées ou dupe des circonstances et victime de la fatalité, on ne voit pas du moins que la question importe à celle de savoir où est le vrai texte de Shakspeare ; quelle est la part de Jules Romain dans les fresques de la Farnésine ; et ce que valent enfin, pour l’histoire de la révolution, les Mémoires de Malouet ou les Correspondances de Mallet du Pan. Dans une histoire de la révolution, comme aussi bien dans toute autre histoire, la première question de méthode est de savoir ce qu’y vaut la critique des textes, et, quelque philosophie que l’historien puisse professer d’ailleurs, c’est toujours la même question. Que valent les textes de M. Taine, et que vaut, dans sa Révolution, la critique des textes ?

Rendons justice tout d’abord à l’étendue, la rigueur et la minutieuse précision de l’enquête. À l’exception de Tocqueville, et, dans ces dernières années, de Mortimer-Ternaux et de M. de Sybel, c’était a priori, si je puis ainsi dire, que la plupart de nos historiens avaient écrit l’histoire de la révolution. En fait de documens, les plus scrupuleux s’étaient d’ailleurs contentés de ce que le hasard avait placé sous leur main : Louis Blanc, par exemple, étant à Londres, de la collection des Papiers de Puisaye, et Quinet, des Mémoires du conventionnel Baudot. L’enquête n’étant pas faite, il fallait donc la faire, si l’on voulait une fois sortir de la légende. Ç’a été le premier souci de M. Taine ; c’est l’explication de la sage lenteur avec laquelle il avance, et c’est le mérite éminent de sa Révolution. En quelques mots, et sans plus attendre, indiquons-en ici les résultats les plus généraux. Grâce à l’étendue de