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Babeuf ; — ou bien encore : tant que la révolution est demeurée aux mains des Sieyès et des Mirabeau, selon les premiers ; aux mains des Roland ou des Danton, selon les seconds ; et enfin, selon les troisièmes, aux mains des Saint-Just et des Robespierre ; — on en peut bien, et même, par pudeur, on en doit déplorer les excès, mais non pas discuter, et encore moins attaquer ou condamner les principes. A un moment donné de l’histoire de la révolution, un homme ou un parti ont seuls fait tout le mal, et par conséquent doivent seuls en répondre, mais non pas la révolution. Lisez Thiers et Mignet, lisez Lamartine et Michelet, lisez Louis Blanc et Quinet : aux yeux de ceux qui voudraient qu’elle n’eût pas dépassé le monarchisme du vertueux Bailly ou le républicanisme de l’intègre Roland, Danton et Camille Desmoulins ne sont point les fils légitimes de la révolution, comme pour ceux qui souhaiteraient qu’elle eût arrêté sa course au terme marqué par Camille Desmoulins et Danton, Robespierre et Saint-Just en sont les plus cruels ennemis. Une légende s’est ainsi formée, — dont je n’ai point d’ailleurs à décrire ici les transformations successives ou à examiner de plus près les différentes versions, — mais dont voici le trait essentiel et la conclusion dernière : la révolution n’est pas responsable des crimes de ses enfans perdus ; nous avons le droit d’y choisir, ou, comme on dit vulgairement, d’en prendre et d’en laisser, au gré de nos opinions ; et ce que l’on croit enfin pouvoir signaler de condamnable en elle, ou ne l’est pas, en bonne justice, ou ne l’est, si l’on y veut absolument condamner quelque chose, que comme déviation de son principe même.

C’est contre cette légende que s’est d’abord et particulièrement acharné M. Taine, et je ne crains pas de dire qu’au regard de l’impartiale histoire, il l’a mise en morceaux. Si les mots, en effet, ont un sens précis, la terreur a daté dans l’histoire de la révolution du jour où la toute-puissance a passé aux mains de la multitude, et ce jour, c’est le lendemain même, — ou de combien s’en faut-il ? — de la réunion des états-généraux. On peut discuter le jugement que M. Taine a porté sur l’Assemblée Constituante et son œuvre, on peut même soutenir contre lui, de quelque superbe mépris qu’il en ait accablé l’un après l’autre tous les membres, que rarement ou jamais assemblée si nombreuse ne réunit autant de lumières et de talens ; mais il faut bien convenir avec lui que jamais non plus assemblée ne délibéra de plus graves intérêts plus tumultuairement, ni surtout avec moins de liberté réelle, sous une plus humiliante pression et plus docilement subie. On nous les représente comme un sénat de rois, investis de la confiance de vingt-cinq millions d’hommes, disposant souverainement de la destinée d’un grand