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instigateurs. Est-il besoin d’en apporter les preuves ? Les girondins ont fait le 10 août, et, s’ils n’ont pas mis la main aux massacres de septembre, ils ont fait presque pis en y osant publiquement applaudir comme à une manifestation de la juste vengeance du peuple. C’est eux qui ont provoqué la mise en jugement de Louis XVI ; — les chefs à la tribune : Brissot, Pétion, Barbaroux ; les comparses dans la presse : Louvet, Carra, Gorsas, — et tous ou presque tous, dans ce procès inique, ils ont voté la mort, et contre le sursis. Pas un, d’ailleurs, n’a élevé la voix contre l’institution du tribunal révolutionnaire ; et comment l’eussent-ils pu, s’ils avaient eux-mêmes désigné pour le supplice toutes ces catégories de « suspects » et « d’otages » où la révolution allait recruter ses victimes ? C’est un mot de Brissot que la « délation est le palladium de la liberté ; » c’en est un d’Isnard, « que contre l’ennemi de la république il ne faut pas de preuves ; » et, pour achever de les montrer tels qu’ils furent, comment Vergniaud, s’il eût pu parler, eût-il essayé de sauver sa tête, sinon, — nous le savons par ses notes, parvenues jusqu’à nous — en revendiquant pour lui l’initiative des plus odieuses résolutions dont on fasse peser habituellement le crime sur le seul parti montagnard ?

J’ai cru longtemps, sur la foi de leurs apologistes, qu’entre girondins et montagnards il devait y avoir une division de principes, mais, en y regardant de plus près, je conviens aujourd’hui qu’entre les uns et les autres il n’y a effectivement que des nuances d’application et des distinctions de personnes. Et c’est beaucoup sans doute, s’il s’agit de porter sur les hommes un jugement définitif, un’ de ces jugemens où l’histoire compense volontiers l’excès du fanatisme par la sincérité des convictions, trop volontiers peut-être ; mais ce n’est rien ou moins que rien, quand il est question de mesurer la portée des doctrines ou d’apprécier, comme c’est ici le cas, la valeur morale et la nature propre des faits. Les girondins sont donc des jacobins au même titre que les montagnards. Ni leur idéal de gouvernement, ni leurs moyens de politique, ni leur conception de l’objet et du but de la révolution n’ont différé sensiblement de la conception, ou des moyens, ou de l’idéal du parti montagnard. Et tous ensemble, montagnards et girondins, comme un peu plus tard terroristes et thermidoriens, — qui ne sont d’ailleurs, eux aussi, que les mêmes hommes sous des noms et en des temps différens, — c’est de la même manière, par les mêmes manœuvres, et grâce enfin à la complicité des mêmes circonstances qu’ils ont conquis la France. Si nous sommes encore capables de profiter de ce que l’on appelait jadis les « leçons de l’histoire, » M. Taine ne nous aura rien appris de plus instructif : comment, sous le régime apparent des majorités, et plus tyranniquement peut-être que