Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/414

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’inflexible définition que nous avons cru devoir nous faire du progrès, du patriotisme et de la vertu ; peut-être n’y a-t-il pas au monde un plus puissant mobile d’action, mais certainement on n’en trouverait pas un qui favorisât davantage, et surtout dans les temps de troubles, la fortune d’un homme politique. Le pouvoir et l’autorité sont à ceux qui n’hésitent pas, et ceux qui n’hésitent jamais, ce sont ceux qui ne comprennent pas. Ayant cette étroitesse d’esprit, de par la nature même du recrutement du parti, les jacobins devaient avoir et eurent effectivement cette puissance.

Les idées philosophiques de M. Taine, sa doctrine déterministe, l’ont-elles empêché de faire assez ressortir cette souveraine influence du « vouloir » dans notre histoire de la révolution ? Je ne sais ; mais s’il a négligé de remonter au principe, il a supérieurement démontré les conséquences. Aucune considération de légalité, de justice, ou d’humanité marne n’est capable d’arrêter ou seulement de faire hésiter le parti jacobin ; et la rapidité de ses décisions lui assure nécessairement la victoire sur tous ceux que de telles considérations peuvent encore arrêter, ou qui, si même ils ne s’y arrêtent pas, ont cependant besoin d’un peu de temps pour triompher de ce qu’elles soulèvent en eux de scrupules ou d’hésitations. Voilà le secret de son ascendant. L’un après l’autre, et l’un par-dessus l’autre, c’est vraiment de leurs qualités que ses adversaires tombent victimes ; ceux-ci sont trop sensibles, et ceux-là sont trop intelligens ; de cette vaste destruction à laquelle d’ailleurs ils concourent il y en a qui voudraient cependant réserver et sauver quelque chose, comme il y en a qui comprennent qu’avant de reconstruire de la base au sommet l’édifice social, il faudrait s’assurer d’un abri provisoire. Mais le parti jacobin, fondé sur son dogme, va toujours en avant, ne regarde jamais en arrière, et vers la réalisation prochaine de ce dogme tendant toutes ses forces avec toutes ses espérances, il a touché de si près son but, que pour s’en écarter d’autant, après un siècle passé bientôt, il ne faudrait pas moins qu’une révolution presque aussi violente elle-même que celle dont il est l’incarnation dans l’histoire.

Quel était donc ce dogme et quel était ce but ? C’est à cette question que répond le troisième volume de la Révolution de M. Taine, celui qu’il a intitulé : le Gouvernement révolutionnaire. S’il contient bien des répétitions, il faut avouer qu’il contient d’autre part quelques-unes des parties tout à fait supérieures de l’œuvre. On nous permettra toutefois, avant de nous retrouver d’accord avec lui sur ces parties mêmes, et en raison de leur importance, d’essayer de préciser d’abord ce qu’il nous semble au moins difficile d’en accepter.