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naturellement bon ; par suite, selon les utopistes de la Constituante, qu’il suffisait de le rendre à sa condition primitive pour le rendre au bonheur en même temps qu’à la vertu ; et par suite enfin, selon les jacobins sincères, — il y en a eu, — que tous les moyens étaient bons, quels qu’ils fussent, qui tendaient à ce but suprême. L’homme est bon, naturellement et foncièrement bon, et pour le restituer à son heureuse nature, il suffit d’écarter ou de briser, s’ils résistent, les obstacles qui jusqu’ici l’ont empêché de se développer. Courbé sous le joug séculaire des préjugés, de la superstition et de la tyrannie, « déformé par un régime immémorial de contrainte et de fraude, » corrompu par l’infâme artifice des magistrats, des prêtres et des rois, délivrons-le donc de leurs mains criminelles, et nous Talions voir aussitôt se retrouver lui-même, prendre « les mœurs douces, énergiques, sensibles » qui sont naturellement les siennes, et retourner enfin à l’âge d’or des poètes en retournant à ses origines. Tel est bien le sens de la philosophie de Diderot et de Jean-Jacques, du Supplément au voyage de Bougainville et du Discours sur les origines de l’inégalité ; tel est le sens de ces déclarations des droits qui forment, comme l’on sait, le préambule obligatoire de toutes nos constitutions révolutionnaires ; tel est aussi celui de ces déclamations contre le vice et la perversité dont la tribune de la Convention a particulièrement et si souvent retenti. Ce principe lui seul nous rend compte à la fois de la grandeur des espérances, de la philanthropie des paroles, et de l’atrocité des actes. Il nous explique aussi la nature des résultats. Si nous ne partageons pas en effet toutes les doctrines de M. Taine, et si nous ne croyons pas avec lui que l’objet unique du gouvernement soit de maintenir l’ordre par la force dans un troupeau de « gorilles lubriques et féroces ; » nous accordons cependant qu’il est de l’essence de la loi d’être restrictive, et qu’ainsi la loi n’est pas loi quand elle prend son point de départ dans la funeste idée de la bonté native de l’homme. Or, à l’exception, bien entendu, de celles qui sont dirigées contre les adversaires ou contradicteurs effectifs et agissans de la révolution, c’est là le caractère de toutes les lois de la révolution : elles supposent la bonté de l’homme et l’invitent à la vertu par le pire développement de ses pires appétits. Mais en quoi cette idée résulte-t-elle de la conception philosophique d’un homme universel ? Si nous retranchons, comme dit M. Taine, toutes les différences qui séparent un Papou d’un Français, quelle nécessité logique nous oblige de ne retrancher que les vices ? L’universalité des crimes est-elle moins évidente que celle des vertus ? Qui a dit qu’un Anglais moderne et qu’un Breton contemporain de César ne se ressembleraient uniquement que dans