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conscience ou exiger de l’homme moderne quelque chose qui soit contre l’honneur, n’est-ce pas l’obliger à retourner en arrière ? Et, dans l’un comme dans l’autre cas, n’est-ce pas avoir compromis ce qu’il y a de plus difficile à réaliser et à consolider dans l’histoire : le progrès moral de l’humanité ? C’est ce qu’auraient fait les jacobins s’ils avaient triomphé définitivement. Déjà, dans la fureur de leur propagande antireligieuse, les philosophes n’avaient pas senti qu’en allant attaquer le christianisme jusque dans son principe, ils s’attaquaient à la conscience même, et compromettaient avec elle tout ce qu’elle avait introduit de respectable dans le monde. Et les jacobins, dans l’ardeur de leurs haines féodales, extirpant du corps social, si je puis ainsi dire, l’organe même avec l’abcès, n’ont pas compris qu’ils risquaient de détruire cet antique sentiment de l’honneur. — A moins peut-être, dira-t-on, qu’ils ne l’aient si bien compris que ce serait là leur véritable crime ? — Ils n’étaient pas assez intelligens.


V

Entre beaucoup d’autres points, nous avons essayé d’indiquer dans la Révolution de M. Taine les deux ou trois plus importans, ceux autour desquels il sera facile de grouper tous les autres, ceux qui marquent surtout, dans ces trois gros volumes, la suite, la liaison, l’enchaînement logique des idées, et ceux enfin qui déterminent la conception totale que M. Taine se fait de la révolution. Entre les deux premiers la liaison est continue, parfaite, impossible à briser : la Révolution, étant sociale et presque agraire dans son fonds et dans son origine, devait nécessairement aboutir à s’incarner dans les jacobins. Mais peut-être était-il moins nécessaire que le programme jacobin fût ce qu’il est dans l’histoire : impraticable, rétrograde et surtout tyrannique ; et la liaison de ces deux points n’est pas aussi parfaite que celle des premiers. Sans nous engager dans cette discussion, dont aussi bien l’intérêt n’apparaîtra que plus tard, quand M. Taine aura terminé son œuvre, et prenant telle quelle sa conception de la révolution, il ne nous reste plus qu’à dire ce qu’il y manque.

Passons outre à quelques lacunes, ou du moins, en les signalant, n’en exagérons pas l’importance. Par exemple, on reproche à M. Taine, sinon d’avoir précisément brouillé les dates dans son livre, du moins de ne pas s’être assez sévèrement astreint à toute la rigueur de la chronologie. Et il est certain que qui voudra connaître le jugement de M. Taine sur une journée fameuse ou une scène capitale de la révolution, sera forcé de faire, à travers ces