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n’y aurait pas moins omis ce qui fait dans l’histoire le caractère unique de la révolution.

« Un cahier de remarques, c’est lui-même qui l’a dit, jadis, et bien dit, n’est pas une psychologie ; » et dans toute combinaison il y a quelque chose de moins et de plus à la fois que la somme des propriétés des élémens qui la constituent, et, en tout cas, quelque chose d’autre. Or c’est ce que M. Taine a surtout oublié dans cette philosophie de la révolution, aussi bien dans les portraits qu’ils nous a peints des hommes que dans les tableaux qu’il nous a tracés des événemens, mais nulle part davantage que dans la conception totale qu’il s’est formée de l’événement. Dans les portraits fameux déjà qu’il nous a faits des hommes de la révolution, de Danton, par exemple, ou de Robespierre, il a tout mis et rien n’y manque, sauf un trait, mais le principal ou même celui qui nous importe seul, celui qui nous expliquerait pourquoi, dans l’histoire de la révolution, il ne s’est rencontré qu’un seul Danton et qu’un seul Robespierre. De même, dans la mémorable description qu’il nous a donnée de la prise de la Bastille, — caricature de l’événement comme d’autres récits en sont la transfiguration, — il a tout dit et même ce qu’il était inutile d’en dire, à l’exception de ce qui fit déjà pour les contemporains et qui fait dans l’histoire le sens et l’importance mystique de ce premier triomphe de la révolution. Et de même, enfin, dans sa conception totale de la révolution, il a vu bien des choses, nous l’avons dit et nous le redisons volontiers, que personne avant lui n’avait vues si clairement et si profondément, mais il n’a pas vu ce que tant d’autres pourtant ont si bien compris et si bien rendu, ce que je ne craindrai pas d’appeler, d’après Michelet et Carlyle, ou d’après le sage Tocqueville, le caractère apocalyptique de la révolution. Non-seulement Révolution, a dit quelque part M. Taine, en jouant sur les mots, mais Dissolution ; et nous dirons à notre tour, en prenant la même liberté, non-seulement Révolution, mais vraiment Révélation.

On peut regretter assurément qu’elle ait affecté ce caractère, mais on ne peut pas dire qu’elle ne l’ait pas eu, comme on peut bien croire qu’elle eût été mieux avisée de s’en tenir à quelques réformes urgentes, mais on ne peut pas faire qu’elle s’y soit tenue. Dépassant, dès son origine, les calculs de ceux qui l’avaient préparée, les bornes du siècle où elle venait de naître, et les frontières du pays qu’elle allait si profondément remuer, la révolution française a procédé dans son cours à la façon des révolutions religieuses, ou plutôt « elle est devenue elle-même une sorte de religion nouvelle, religion imparfaite, il est vrai, sans Dieu, sans culte et sans autre vie, mais qui, néanmoins, comme l’islamisme, a inondé toute la terre de ses