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chutes nombreuses qu’avait produites la persécution faisaient à l’église une situation très difficile. Ceux qui l’avaient reniée et qu’on appelait les Tombés, étaient naturellement à leur tour reniés par elle et rejetés de son sein et ne pouvaient y rentrer qu’après avoir expié leur faute et obtenu leur pardon.

Il y avait deux espèces de Tombés, ceux qui avaient sacrifié aux dieux et à qui s’appliquait surtout ce nom, et d’autres qui, sans avoir sacrifié, avaient obtenu de l’autorité romaine qu’elle se contentât d’un écrit (libellus), par lequel ils déclaraient l’avoir fait. Quelquefois encore on les dispensait de faire eux-mêmes cette déclaration, et on la faisait pour eux d’office. Mais se taire, en pareil cas, c’est bien encore une manière de renier, et ceux qui recouraient à ces libelli, et qu’on appelait libellatiques, étaient tenus aussi pour coupables, quoique moins coupables pourtant que ceux qui avaient sacrifié.

Cependant les Tombés désiraient, pour la plupart, rentrer dans l’église, étant depuis longtemps engagés à elle par leurs affections et leurs intérêts, et l’église à son tour avait besoin d’eux, puisqu’elle ne se recrutait que de volontaires. Elle ne pouvait donc être trop exigeante sur les conditions de la réconciliation ; mais il ne fallait pas non plus qu’elle fût trop facile ; car pourquoi aurait-on souffert pour elle, si on n’avait rien perdu à l’abandonner ? Elle ne refusait donc pas le pardon ; elle se bornait à le faire attendre ; mais cela même devenait de plus en plus malaisé ; à mesure que l’église devenait elle-même plus considérable, on était plus impatient d’y rentrer. D’ailleurs le besoin même qu’on avait d’encourager les confesseurs leur avait fait accorder un privilège qui se trouva tourner au profit de ceux qui n’avaient pas le courage de confesser. On admit, et comment ne pas l’admettre ? que le martyr qui avait versé son sang pouvait obtenir, pour prix de son sacrifice, la grâce de sa femme, par exemple, ou de son père, qui avait faibli. Mais cela s’étendit insensiblement ; on en vint à accorder au martyr ou confesseur la grâce de celui qu’il recommandait, quel qu’il fût, et enfin la grâce de plusieurs, de sorte qu’il n’y eut plus de limites. Les confesseurs distribuaient des billets, libelli, parmi lesquels celui-ci, qui s’adresse à Cyprien même et qui nous a été conservé, est bien étrange (lettre 23) : « Tu sauras que nous avons donné la paix à tous, sauf justification devant toi de leur conduite après leur faute, et nous te demandons de faire part de cette communication aux autres évêques. La paix soit entre toi et les saints martyrs ! Ecrit par Lucianus. Etaient présens, du clergé, un exorciste et un lecteur. » Donner la paix, cela signifie qu’ils se déclarent prêts à communier avec eux, et qu’ainsi, autant qu’il est en eux, ils les reçoivent dans l’église. Les confesseurs n’avaient pas