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leur collège. Eux seuls, et c’est assez ! Le fait est qu’ils s’entendent à exploiter au profit de leurs ambitions et même de leurs intérêts, le régime qu’ils se sont créé, qu’ils ont façonné à leur manière depuis leur avènement. — Là où M. Thiers, tout plein du sentiment de l’ancienne grandeur nationale, ému des catastrophes publiques, mettait sa généreuse passion à raffermir les institutions militaires, à défendre l’intégrité de l’armée, les conditions les plus essentielles du service de la France, les républicains ont mis leurs rêves et leurs calculs de parti ; ils se sont fait un jeu de tout ébranler sous prétexte de créer une armée républicaine. Ils ont imaginé ou laissé mettre en discussion cette loi de recrutement qui serait la destruction de la puissance militaire et des forces intellectuelles de la France. Les ministres mêmes qui sentaient le danger de ce projet prétendu démocratique n’ont pas eu la hardiesse de le combattre, ils n’ont pas osé refuser de le porter au sénat, ils ont craint de se brouiller avec les radicaux ! Là où l’ancien président mettait toute sa prévoyance à relever le crédit avec un art presque minutieux, à créer des ressources sans épuiser le pays, et réussissait à refaire une prospérité imprévue par l’ordre, on a jugé tout simple d’abuser de cette fortune renaissante ; on n’a trouvé rien de mieux que de forcer tous les ressorts du crédit, de multiplier les dépenses, ordinaires et extraordinaires, d’enfler le budget jusqu’au-delà de 3 milliards. On n’a point hésité à gaspiller en quelques années l’héritage qu’on avait reçu dans l’espoir de se créer une fausse popularité. Là enfin où M. Thiers s’était toujours fait un devoir de maintenir la paix religieuse, on s’est empressé, dès qu’on l’a pu, de suivre les mots d’ordre de secte, d’ouvrir la guerre à propos de tout, à propos des écoles et des séminaristes, à propos du budget des cultes et du concordat. On a soulevé sans raison, sans nécessité, cette redoutable question de la séparation de l’église et de l’état qui est peut-être un péril, et dont M. le président du conseil a parlé d’une manière à vrai dire assez équivoque dans les explications qu’il a données ces jours derniers encore à ses électeurs parisiens. Que pense le gouvernement de la question ? M. le président du conseil est au fond pour la séparation, on peut le présumer ; il la craint aussi comme un danger pour la république. M. Henri Brisson, qui est un homme de tenue et de ressource, a l’avantage d’avoir une opinion comme théoricien et une opinion comme chef de ministère obligé à une certaine mesure. Il veut et il ne veut pas, il laisse aux passions le soin de décider en cela comme en bien d’autres choses.

Ainsi on a procédé depuis quelques années, et c’est avec cette politique, à la fois imprévoyante et agitatrice, qu’on est arrivé par le plus court chemin à une situation où l’on a réussi à mettre le déficit dans les finances, l’incohérence dans les affaires militaires, le doute et l’irritation dans les consciences, le malaise dans le pays. Oui vraiment, les