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pagne s’est trouvée dans une situation assurément des plus gravés. D’un côté, la plus dangereuse question de paix ou de guerre venait de s’élever, elle ne résultait pas certainement d’une contestation de droit qui n’était rien, elle naissait surtout de l’offense faite au drapeau allemand dans les rues de Madrid, du conflit de tous les sentimens d’orgueil et de dignité entre deux nations ; d’un autre côté, le gouvernement s’est vu subitement dans la position la plus critique. S’il suivait le mouvement populaire, il risquait de se jeter et de jeter son pays dans une aventure où il n’y avait que des périls sans compensation ; s’il, résistait trop ouvertement à la passion qui grondait autour de lui, il s’exposait à provoquer une explosion d’irritation nationale qui pouvait atteindre la monarchie elle-même. Guerre ou révolution, c’était l’alternative.

Un instant on a pu croire que la situation était perdue. Si depuis quelques jours cette crise a subi un temps d’arrêt, c’est que l’Allemagne, par une modération et un calme qui ont été une habileté, a su éviter d’enflammer encore plus, les passions nationales au-delà des Pyrénées et que le cabinet de Madrid, après avoir été un moment surpris et débordé, a retrouvé quoique autorité. On a pu s’arrêter sur la redoutable pente où l’Espagne était en train de se précipiter. C’est déjà beaucoup qu’on ait pu gagner du temps et reprendre assez de sang-froid à Madrid pour négocier. La question néanmoins, qu’on ne s’y trompe pas, reste entière avec ses difficultés, d’elle est assez grave pour qu’on ne la complique pas de diversions de fantaisie, d’inventions ridicules en attribuant dans tout cela à la France un rôle qu’elle ne peut avoir. Non, la France n’est pour rien ni dans les manifestations contre l’Allemagne ni dans les agitations contre la monarchie du roi Alphonse, et si on ne croit pas à sa sincérité, qu’on la suppose du moins assez éclairée sur ses intérêts pour ne pas aller se jeter dans des querelles où il n’y aurait pour elle que des dangers.

Ces événemens d’Espagne ont été si soudains, si imprévus, si violons qu’ils ont un peu troublé les têtes ; ils ont ravivé tout à coup le sentiment de l’incertitude de la paix, et comme si ce n’était pas assez de ce duel possible entre deux nations du continent, on s’est hâté aussitôt d’aller aux dernières extrémités, d’imaginer toute sorte de combinaisons, militaires, diplomatiques ou révolutionnaires, embrassant l’Europe et le monde. Peu s’en est fallu qu’on ne vît en un moment tout en combustion et qu’un îlot d’un archipel lointain n’ait paru être une de ces allumettes chimiques dont parlait autrefois lord Palmerston. Heureusement, toutes les allumettes ne mettent pas si vite le feu au monde.

L’Europe, s’il y a une Europe, n’est probablement pas disposée à se laisser entraîner dans des aventures pour une île hier encore inconnue. La France n’a que faire de se mêler d’une querelle où elle n’a jus-