Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/539

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du Temple, arrachée à l’Autriche par l’influence de la Russie et qui vint le rejoindre en 1799 pour épouser le duc d’Angoulême. En même temps, arrivait la reine, Marie-Joséphine-Louise de Savoie, séparée de son époux depuis plusieurs années. Mais cette réunion ne fit qu’accuser le dissentiment qui existait entre eux, par suite du fâcheux caractère de la reine et de l’influence qu’exerçait sur elle une Mme de Gourbillon, attachée à son service. Le roi ne voulut pas tolérer « cette intrigante » dans sa maison. Il la chassa le jour même où elle se présentait à Mitau, à la suite de la reine[1]. La reine ne perdit jamais le souvenir de ce qu’elle considérait comme une humiliation; elle ne cessa de s’en plaindre pendant l’année qu’elle passa à Mitau, comme elle se plaignait de la rigueur du climat de Russie. Au mois de mars 1800, le roi consentit à la laisser partir pour Pyrmont, où elle avait fait un premier séjour[2]. Le voyage, ajourné par suite du manque d’argent, ne s’effectua qu’en juin. La reine partit avec une suite considérable, singulièrement coûteuse pour des exilés. La saison des eaux terminée, elle signifia au roi qu’elle se retirait dans le Holstein, où le gouvernement danois lui permettait de résider « sans appareil de représentation[3]. »

Cette affaire avait causé à Louis XVIII d’irritans soucis. La filiale sollicitude de la duchesse d’Angoulême peu à peu les apaisa. Elle était restée seule de la famille royale auprès de lui. Son mari et le duc de Berry avaient quitté Mitau, autorisés par le tsar, le premier à se rapprocher du théâtre de la guerre, le second, à se rendre dans les états de Naples, où il cherchait une alliance. Ces départs successifs augmentaient la tristesse et l’isolement des augustes proscrits, sans affaiblir leurs espérances. C’est au contraire vers ce temps que le roi, poursuivant avec ténacité la réalisation de ses plans, envoyait le comte de Saint-Priest à Vienne, avec mission de tenter un dernier effort sur la cour d’Autriche pour triompher du mauvais vouloir qu’elle opposait aux projets et à la cause des

  1. Les causes de l’ardente affection de la reine pour sa femme de chambre sont inexplicables et inexpliquées. Ni les lettres qu’elle lui adressait, ni les remontrances du roi n’en éclairent le mystère. A son arrivée à Mitau, la Gourbillon fut violemment séparée de la reine et internée dans un couvent à Vilna. Elle trouva un peu plus tard le moyen d’en sortir et de gagner Saint-Pétersbourg, où elle intrigua tant et si bien contre le roi de France qu’elle peut être considérée comme un des auteurs de son expulsion, survenue quelques mois après.
  2. C’est lors de ce premier séjour que Breteuil, qui l’avait accompagnée, écrivait : « Elle n’en a pas pour deux mois; mais, il faut convenir que ce ne sera pas une grande perte. »
  3. Elle rejoignit son mari l’année suivante à Varsovie, et, depuis, ne le quitta plus qu’accidentellement. Elle mourut en Angleterre en 1810.