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Bourbons[1]. Il attachait le plus grand prix à cette démarche. Il en attendait avec confiance le résultat. Mais c’est Paul Ier qu’il considérait toujours comme son plus ferme appui. Après Marengo, cette conviction devint plus forte. La conduite du tsar était bien faite pour l’encourager. Tandis que s’accusait le refroidissement des cabinets européens pour l’exilé de Mitau, alors que l’Espagne et la Prusse étaient en paix avec la république, que l’Angleterre et l’Autriche ne continuaient la guerre que dans une vue d’intérêt personnel, et que la Suède, d’accord avec le Danemark, jetait les bases d’une ligue des neutres, le tsar demeurait, au moins en apparence, fidèle à son hôte. Au début de l’année 1800, il lui donnait une preuve éclatante de sa volonté de ne pas l’abandonner.

Jusqu’à ce moment, le roi de France n’avait été représenté à Saint-Pétersbourg que par un agent sans caractère officiel, le marquis de La Ferté-Meun. Au mois de janvier, ce mandataire reçut, par ordre du tsar, une lettre qui le qualifiait ministre du roi de France. Très ému, il s’empressa d’avertir son maître. Le roi écrivit aussitôt à son frère et cousin, à qui il demanda s’il lui convenait d’avoir auprès de lui un agent royal revêtu des attributions d’un ambassadeur. La réponse de Paul Ier ayant été affirmative, Louis XVIII lui proposa, pour exercer ces hautes fonctions, un émigré, le comte de Choiseul-Gouffier, et, à défaut de lui, un autre émigré, le marquis de Lambert. Depuis longtemps, ils habitaient Saint-Pétersbourg. Mais, au moment où ces propositions partaient de Mitau, Paul faisait expulser de son empire ces deux gentilshommes sans même leur expliquer les motifs de leur disgrâce. Le roi, déconcerté, lui remit alors une liste portant les noms du duc de Guiche, du comte de La Chapelle, du marquis de Bonnay et du vicomte de Caraman, entre lesquels il le suppliait de choisir. L’empereur s’y refusa. Il laissa Louis XVIII libre de désigner son représentant. C’est ainsi que M. de Caraman fut nommé. Il avait sur ses concurrens l’avantage d’avoir déjà visité la Russie[2]. Le jour où la décision impériale fut connue à Mitau, — c’était le 20 juin, — le roi écrivit au tsar pour lui exprimer sa reconnaissance. « D’accord avec mes fidèles sujets, disait-il, je peux envisager ce grand événement sous

  1. La bataille de Marengo, dont il eut la nouvelle le lendemain de son arrivée à Vienne, rendit inutile la mission de Saint-Priest. Il alla à Dresde, d’où il retourna en Suède, malgré les pressantes lettres de Louis XVIII, qui le rappelaient. En 1807, il était en Suisse, toléré par la police impériale, grâce à l’amitié de M. de Barante, préfet de Genève. Il rentra en France à la restauration et mourut en 1821. Ses fils étaient au service de la Russie.
  2. Dans ses Mémoires inédits, dont nous devons la communication à son arrière-petit-fils, M. de Caraman paraît croire qu’il fut désigné par le tsar. Les documens que nous avons consultés prouvent le contraire.