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deux aspects également favorables, comme une marque de l’amitié de Paul Ier et comme un démenti éclatant donné aux calomniateurs qui me prétendaient privé du plus formidable appui. »

M. de Caraman était alors au service de la Prusse, avec le grade de colonel, qu’il devait à la bienveillance du roi Frédéric-Guillaume. Il a raconté lui-même quelles appréhensions l’assaillirent quand il reçut l’ordre qui l’appelait à Mitau et quels motifs le décidèrent à obéir : « La position des affaires en Europe ne me permettait pas la moindre illusion sur la stabilité du poste auquel j’étais appelé; je connaissais la mobilité des volontés de l’empereur ; mais je connaissais aussi son inflexibilité lorsqu’une fois sa résolution était arrêtée. Je savais que la résistance pouvait lui faire prendre les partis les plus violens, et, bien persuadé que je serais bientôt victime d’un changement forcé ou volontaire dans le système que suivait l’empereur, je ne voulus pas exposer celui qui était toujours pour moi le roi de France, et, par conséquent, le mien, à voir ajouter de nouvelles épreuves à celles qu’il avait déjà à supporter. » Ces considérations honorables, soumises au roi de Prusse, reçurent son approbation, une approbation que ses relations avec la république française lui commandaient de taire, mais qui se traduisit par la promesse faite à M. de Caraman de lui conserver son emploi et d’en payer le traitement à sa famille.

A Mitau, M. de Caraman prit les ordres de Louis XVIII. On lui recommanda « d’agir avec prudence, de ménager la dignité d’un prince malheureux au milieu des caprices imprévus d’une volonté qui ne connaissait pas d’obstacles et que la moindre contradiction pouvait porter aux extrémités les plus fâcheuses. » Une lettre du roi qu’il devait remettre au tsar précisait, d’ailleurs, le caractère de sa mission : « Dans la situation où je me trouve, étant sans cesse dans le cas de prendre un parti sur une infinité d’objets, de propositions souvent séduisantes, mais qui peuvent être insidieuses, que pouvais-je désirer de plus que d’avoir un moyen de me guider sans cesse par les avis de Votre Majesté impériale? C’est donc plutôt un homme toujours à portée de les recevoir et de me les transmettre qu’un ministre que j’ai désiré avoir auprès d’elle, et je la supplie de recevoir M. de Caraman à ce titre et de l’écouter avec bonté et de ne pas me refuser le secours de ses lumières non-seulement lorsqu’il les lui demandera de ma part, mais encore lorsque son amitié lui fera sentir d’elle-même le besoin que j’en aurai. »

La cour de Saint-Pétersbourg, quand M. de Caraman y parut, ne ressemblait à aucune autre par suite du despotisme que Paul Ier exerçait sur ses sujets. Déjà, lorsque, trois ans avant, le comte de Saint-Priest y était venu, il constatait que nul, dans l’entourage de