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l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem et reçut l’investiture au château de Péterhof des mains mêmes de l’empereur. Ces marques de la faveur impériale, les paroles qui lui furent adressées emportèrent les appréhensions que lui avaient d’abord causées diverses résolutions, telles que l’expulsion du marquis de Lambert et du comte de Choiseul. Louis XVIII partageait sa confiance. Il restait convaincu qu’il pouvait compter sur la loyauté de Paul Ier et sur l’appui de Rostopchin. Après que le tsar eut accepté de lui le cordon du Saint-Esprit et lui eut envoyé l’ordre de Saint-André, le roi, trompé par la mise en scène qui présida à cet échange de décorations, ne douta plus de l’amitié du monarque russe.

Ces illusions furent de courte durée. Le 20 décembre, M. de Caraman arrivait à l’improviste à Mitau et apprenait à son souverain, bouleversé par sa présence inattendue, que deux jours avant il avait reçu l’ordre de quitter Saint-Pétersbourg. On lui avait accordé trois heures pour en sortir. C’était le traitement qu’avait subi, quelques mois avant, lord Withworth, l’ambassadeur d’Angleterre. Quant aux causes de son expulsion, M. de Caraman les ignorait. A l’aide des documens officiels, nous avons pu nous en rendre compte, et il nous suffira de revenir à quelques mois en arrière pour rencontrer les événemens qui avaient préparé et provoqué ce coup de théâtre.


II.

Devenu, par la journée du 18 brumaire, maître de la France, Bonaparte souhaitait la pacification de l’Europe. La paix était conclue avec l’Espagne et la Prusse ; il la voulait avec les autres puissances, la Russie surtout. Le cabinet de Berlin, que dirigeait M. d’Haugwiz, s’était offert comme médiateur entre Saint-Pétersbourg et Paris. L’aide-de-camp Duroc avait été chargé de lui exprimer la reconnaissance du premier consul. Cette mission temporaire ayant pris fin, le général de Beurnonville était arrivé à Berlin comme ministre de la république française pour tirer parti des bons offices de la Prusse.

L’idée d’un rapprochement entre la France et la Russie n’était pas nouvelle. Déjà, à la mort de Catherine II, le directoire avait tenté d’opérer ce rapprochement par les mêmes voies. A la demande du roi Frédéric-Guillaume, M. de Kalitschef, ambassadeur de Russie à Berlin, avait eu une entrevue avec le citoyen Caillard, représentant du directoire. Ces pourparlers étaient restés sans résultat. Les hostilités avaient continué pendant que M. de Talleyrand, devenu ministre des affaires étrangères, s’efforçait d’intéresser