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contrairement à la vérité, que M. de Caraman n’avait pas été admis en présence du tsar, mais seulement auprès du comte Panin, et uniquement à titre d’envoyé du chef de la famille des Bourbons. Il insinua même que la mission de M. de Caraman avait pour but d’obtenir que, parmi les domaines dont on disposerait à la paix générale, on donnât à Louis XVIII, en échange de sa renonciation à la couronne, un territoire où il pût vivre à l’abri du besoin. Beurnonville ajouta foi à ces affirmations. Elles le rassurèrent et il attendit l’effet des bons offices de la Prusse.

A Paris, Talleyrand se préoccupait de trouver des voies parallèles à celle de Berlin. Le ministre de France à Copenhague, M. de Bourgoing, reçut à Hambourg, où il attendait des ordres pour se rendre à son poste, des instructions conformes à celles qui avaient été précédemment adressées au général de Beurnonville. « Nous manquons de moyens directs d’agir à Saint-Pétersbourg, lui mandait Talleyrand, nous sommes obligés de recourir à l’intermédiaire de la Prusse et nous ne pouvons douter qu’il ne soit pas moins officieux au fond qu’en apparence. Il conviendrait donc que vous examinassiez autour de vous s’il n’y aurait pas quelque voie bonne à employer près la cour de Russie, soit pour bien connaître l’intensité de ses déterminations, soit même pour les exciter dans le sens qui nous est favorable. » La Russie avait pour représentant à Hambourg M. de Mourawief. Mais ce diplomate était trop ouvertement favorable aux émigrés pour que le ministre de la république pût compter sur son concours. Bourgoing eut alors l’idée de s’adresser au ministre de Suède. Il le trouva disposé à s’employer pour le rapprochement de la France et de la Russie, mais peu confiant dans l’initiative de M. de Mourawief, et convaincu que le meilleur moyen d’aboutir consistait dans l’entremise plus active de la cour de Berlin. En faisant connaître à Talleyrand cette opinion commune aux divers amis de la France à Hambourg, Bourgoing ajoutait : « Ils pensent qu’en cajolant indirectement Paul Ier, on tendrait également à ce but, qu’il suffirait pour cela d’agir dans l’esprit que respirent depuis quelque temps nos journaux officiels, en y ajoutant quelques démarches qui prouveraient nos ménagemens pour la nation russe et surtout pour ses troupes, de prendre à l’égard de ses prisonniers de guerre des mesures d’humanité, peut-être même de les laisser rentrer dans leur pays, en alléguant qu’ils pourraient souffrir d’un plus long séjour sous un climat si différent du leur. »

Ce conseil, soit qu’il coïncidât avec des projets déjà formés par le premier consul, soit qu’il les inspirât, fut suivi sur-le-champ. Le 20 juin, M. de Talleyrand adressait au comte Panin une lettre