Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/557

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il quitta la France derrière plusieurs milliers de prisonniers rendus à leur patrie[1], il semblait que la paix entre Saint-Pétersbourg et Paris était à jamais assurée.

C’est vers ce temps que le ministre de la police Fouché écrivait à un de ses agens secrets à Hambourg : « Nous voici au moment d’une alliance avec Paul Ier. Son ultimatum est parti pour Vienne et Londres. Il veut que ces deux puissances renoncent à toutes leurs conquêtes, que l’empereur d’Allemagne rétablisse la république de Venise et que l’Angleterre lui abandonne Malte jusqu’à la paix. » Et en post-scriptum : « J’oubliais de vous dire que Paul Ier tient beaucoup à son roi de Mitau. » Fouché se trompait. L’intérêt que, sous l’empire de circonstances maintenant modifiées, le tsar avait témoigné à Louis XVIII, cet intérêt était épuisé. Les changemens survenus dans l’attitude du puissant monarque n’avaient pas échappé au roi non plus qu’à M. de Caraman. Mais, comme nous l’avons dit, ils ne pouvaient pas plus en discerner les causes qu’ils ne pouvaient mesurer les périls nouveaux qui montaient autour des Bourbons détrônés. Entre Bonaparte rêvant l’empire, Paul Ier songeant à conquérir l’Orient, l’Angleterre appliquée à s’assurer la possession des mers, l’Autriche pressée de posséder l’Italie et la Prusse cherchant à tirer parti du choc de ces multiples ambitions, de quel poids pouvait peser le proscrit de Mitau? Qu’était-il, sinon un fétu livré aux tempêtes, destiné à en être le jouet? Désormais, il n’avait à compter sur aucun secours, et si, durant les quatorze années qui suivirent, il conserva l’espérance, c’est que sa foi dans son droit était inébranlable.

Il résulte cependant de l’étude des documens à l’aide desquels nous avons pu reconstituer l’histoire de son exil que le roi, bien qu’il s’affligeât des réticences que, dès ce moment, il surprenait dans la conduite et le langage du tsar, avait confiance dans sa générosité et restait convaincu qu’il ne serait pas dépossédé de l’asile de Mitau. On peut croire, d’ailleurs, qu’en dépit des négociations engagées avec Bonaparte et menées à bonne fin, Paul Ier n’était pas plus résolu à éloigner M. de Caraman de sa cour qu’à expulser Louis XVIII de ses états. Il est même permis de supposer que sa résolution du 18 décembre fut le résultat de quelque intrigue que M. de Caraman, à en juger par ses Mémoires, paraît avoir ignorée

  1. L’exemple donné par Bonaparte, on 1800, trouva un imitateur, en 1815, dans l’empereur Alexandre. Il y avait, à Saint-Pétersbourg, parmi les prisonniers de la grande armée, quelques centaines de Portugais. Alexandre les fit revêtir de leur uniforme national et les passa en revue dans la cour du palais de Tsarskoë, où, devant un autel surmonté du portrait de leur souverain, un prêtre catholique reçut leur serment de fidélité. Ils furent ensuite renvoyés en Portugal.