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explications, en atténuer les effets. Disposé à croire que Caraman avait, par quelque imprudence, provoqué l’empereur, il l’interrogea. Caraman retraça les détails de sa conduite ; elle n’offrait aucun trait répréhensible. Ce qui ajoutait à la gravité du silence gardé par le tsar, c’est que les officiers russes attachés à la cour de Mitau, très affectés en apparence, n’osaient parler ni dire ce qu’ils pensaient. Dans ces circonstances, le roi se décida à écrire à l’empereur. Sa lettre était humble ; elle se ressentait de ses appréhensions, de la crainte de froisser Paul Ier.

« Monsieur mon frère et cousin, profondément affligé de voir arriver le comte de Caraman auprès de moi, j’ai interrogé son honneur sur les causes de sa disgrâce. Il m’a répété les expressions de son dévoûment pour la personne de Votre Majesté impériale et m’a assuré ne connaître de son malheur que l’ordre qu’il a reçu de se rendre à Mitau. Dans la cruelle perplexité où je me trouve et non moins frappé de la crainte d’un refroidissement dans l’amitié de Votre Majesté impériale que de l’effet funeste que le renvoi de mon ministre doit nécessairement produire pour mes intérêts, je la supplie, si la faute certainement bien involontaire du comte de Caraman n’est pas irrévocable, de me permettre d’en appeler à l’indulgence de Votre Majesté impériale, ou s’il s’était irrévocablement perdu dans ses bonnes grâces, de vouloir bien m’autoriser à lui présenter de nouveau quelques sujets parmi lesquels elle daignerait choisir mon représentant auprès d’elle. »

Cette lettre fut adressée par d’Avaray à Rostopchin, qu’il priait de la remettre à l’empereur. Mais elle produisit sur Paul Ier un tout autre effet que celui qu’en attendait le roi. « Comment! il me demande compte de mes actions! s’écria Paul, en la recevant. Suis-je, oui ou non, maître chez moi? » Et par ses ordres, le billet suivant, signé d’un secrétaire, fut expédié à Mitau : « L’empereur m’ordonne de répondre pour s’éviter de dire lui-même au roi des choses désagréables. Sa Majesté ne doit pas intervenir en faveur de M. de Caraman, qui est un intrigant et a donné de justes sujets de mécontentement à l’empereur. L’empereur veut être maître chez soi. Il est fâché de rappeler au roi que l’hospitalité est une vertu et non un devoir. » Cette dure et laconique réponse ne laissait plus aucun espoir de voir le tsar revenir à d’autres sentimens. La cour de Mitau en fut réduite à attendre les événemens. Ils ne tardèrent pas à se produire, précédés de signes avant-coureurs.

Chaque jour, des étrangers se dirigeant vers la frontière passaient par Mitau sous bonne garde, n’ayant la permission de s’arrêter, ni de parler à personne ; personne n’osait les approcher. On sut que, parmi eux, se trouvaient les ministres de Danemark et de