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prétendait le vice-gouverneur de Mitau, l’argent était resté. Ce ne fut qu’après une longue et cruelle attente que le roi fut mis en possession des fonds qui constituaient son unique ressource.

Jusqu’au 20 janvier, on fut sans nouvelles du tsar. Mais, ce jour-là, Fersen reçut de nouveaux ordres qu’il dut communiquer au roi. Ils lui enjoignaient de s’éloigner de Mitau à bref délai. Ils étaient accompagnés des passeports nécessaires pour le voyage et de la lettre écrite au tsar par Louis XVIII, à qui elle était retournée sans avoir été décachetée[1]. Après cette communication, Fersen, sans chercher à taire sa douleur, se tenait debout devant le roi. Celui-ci soudain se mit à pleurer. Il rappela qu’on était à la veille du jour anniversaire de la mort de son frère, que sa nièce, enfermée dans ses appartemens, célébrait, par le recueillement et la prière, cette douloureuse commémoration. « Dois-je troubler ses larmes et l’arracher à sa pieuse méditation ? » demanda-t-il. Fersen, très ému, prit sur lui d’ajourner le départ au surlendemain. Le roi toutefois ne voulut pas laisser ignorer à la duchesse d’Angoulême le nouveau coup qui les frappait. Suivi de d’Avaray et de Caraman, il se rendit auprès d’elle. La porte était close, gardée par le fidèle Cléry, qui ne l’ouvrit que sur la demande instante du roi. La princesse se tenait agenouillée devant son aumônier, l’abbé Edgevvorth, le même qui avait assisté Louis XVI à ses derniers momens. Surprise par la présence de son oncle, elle

  1. Il est intéressant de rapprocher de la rigueur avec laquelle Paul Ier traitait tout à coup Louis XVIII, après l’avoir protégé pendant plusieurs années, la lettre suivante, écrite le 21 décembre 1800 par Bonaparte au tsar, et, arrivée à Saint-Pétersbourg quelques jours avant l’expulsion dont elle fut une des causes :
    « J’ai tenté en vain, depuis douze mois, de donner le repos et la tranquillité à l’Europe; je n’ai pu y réussir et, l’on se bat encore sans raison, et, à ce qu’il paraît, à la seule instigation de la politique anglaise.
    « Vingt-quatre heures après que Votre Majesté impériale aura chargé quelqu’un qui ait toute sa confiance et qui soit dépositaire de ses désirs, de ses spéciaux et pleins pouvoirs, le continent et les mers seront tranquilles, car lorsque l’Angleterre, l’empereur d’Allemagne et toutes les autres puissances seront convaincues que les volontés comme les bras de nos deux grandes nations tendent à un même but, les armes leur échapperont des mains et la génération actuelle bénira Votre Majesté impériale de l’avoir arrachée aux horreurs de la guerre civile et aux déchiremens des factions.
    « Si ces sentimens sont partagés par Votre Majesté impériale, comme la loyauté et la grandeur de son caractère me portent à le penser, je crois qu’il serait convenable et digne que simultanément les limites des différens états se trouvassent réglées et que l’Europe connût dans le même jour que la paix est signée entre la France et la Russie et les engagemens réciproques qu’elles ont contractés pour pacifier tous les états. »
    Le tsar répondit à cette lettre d’abord en envoyant à Paris un ambassadeur chargé de continuer les négociations ébauchées à Berlin entre Krudener et Beurnonville, ensuite en expulsant Louis XVIII. Il crut donner ainsi satisfaction aux désirs exprimés par le premier consul, dans lequel il voyait alors un allié à l’aide duquel il détruirait puissance anglaise, objet de sa haine.