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une suffisante vocation, et leur ambition leur tint lieu de brevet de capacité. Ignorans et pauvres, ils prétendirent exercer une profession qui exige instruction et capital. Dans le passé, la petite propriété et le fermage s’étaient recrutés, on l’a vu, par une sorte d’élection. Je suis loin de prétendre qu’il n’en fût plus ainsi dans un nombre de cas indéterminable, dans la plupart peut-être; mais cela laissait encore une marge ouverte à une foule énorme de gens, campagnards comme citadins, empressés de se déclasser pour monter. Tous ne trouvèrent pas également à s’en louer. Combien d’anciens métayers, émigrant vers les villes, n’y rencontrèrent que les misères de l’ouvrier ! Combien d’autres, fermiers nécessiteux ou petits propriétaires endettés, ne tardèrent pas à sombrer et tombèrent dans le travail nomade ! Ne sortons même pas d’une période toute récente, voyons ce qui s’est passé depuis une quarantaine d’années. On relève avec une sorte de fierté ce fait que la petite propriété a quadruplé de valeur depuis un demi-siècle, c’est-à-dire dans une proportion sensiblement supérieure à l’augmentation pourtant considérable de la valeur des domaines plus étendus. Un tel accroissement prouve assurément l’amélioration réelle du sol et du revenu. On ne peut méconnaître néanmoins l’influence qu’a exercée sur une telle élévation des prix la recherche excessive des petits terrains, des parcelles multipliées à dessein par la spéculation pour satisfaire cette sorte d’appétits. La valeur a été surenchérie au-delà souvent de toute raison par ces acquéreurs disposés à acheter coûte que coûte. Ces métayers impatiens, qu’il faut compter sans doute par milliers, ont perdu plus que gagné à suivre un penchant trop immodéré. Ayant acheté trop cher, combien de fois n’a-t-il pas fallu que ces propriétaires improvisés empruntassent, à un taux aussi usuraire que celui dont ils avaient acheté la terre, pour en payer le prix et pour suffire aux frais de la culture! Le même fait se présente en partie pour le métayer qui s’est converti en fermier ; sans avances suffisantes il n’a guère pu que végéter. La concurrence s’est portée sur les fermages avec la même vogue impétueuse que sur les terres, et il y a eu là aussi une folle-enchère. Nous pourrions nommer des pays, abandonnés par leurs anciens métayers et leurs ouvriers ruraux, qui ont subi plus de préjudice qu’ils n’ont recueilli d’avantages par suite d’un morcellement parcellaire excessif, qui s’y est montré particulièrement dommageable à l’agriculture. L’enquête cite la Creuse, par exemple. Ce pays était destiné, en grande partie, au métayage par ses conditions générales. Les anciens métayers, soit qu’ils aient continué à résider sur le sol. en abandonnant la métairie pour la petite propriété, soit qu’ils aient émigré six ou sept mois chaque année pour